21. Un mort en sursis (2/2)

88 30 33
                                    

Je frappe quelques coups contre le banc à l'entrée de la carriole pour m'annoncer. Seul le silence me répond et je passe une tête prudente par la fente de la bâche. Assis sur sa paillasse, le Portugais observe sa main droite. Il la tourne et retourne devant lui, dans un lent mouvement de poignet.

— João, puis-je entrer ?

Il lève brièvement le nez, puis replonge dans la contemplation de ses doigts. Je prends cela pour une autorisation et viens m'asseoir en face de lui. Mon cœur se serre devant la teinte gris charbon de sa peau. La coloration s'estompe au niveau du poignet pour retrouver un ton bronzé plus naturel. À la lumière du jour, le phénomène donne l'illusion d'une main de pierre animée par quelque sortilège. Je tente de masquer mon désarroi, sans être certain de vraiment y parvenir.

— Comment va ta main ?

João reste silencieux, les yeux baissés, sans même interrompre ses gestes lents. Je crois d'abord qu'il ne va pas me répondre et me demande si je ne devrais pas mieux repartir. Puis il s'exprime d'une voix atone :

— Je ne ressens aucune douleur. Elle est simplement engourdie, comme si elle était restée longtemps coincée dans une position inconfortable. Je perçois une légère résistance quand je plie les doigts. Si ce n'est sa couleur... inhabituelle, elle paraît normale.

Il laisse échapper un bref ricanement cynique et reprend :

— Étrange, dans ces conditions, d'imaginer qu'elle causera ma perte dans un mois.

Ses paroles dégoulinent d'une amertume vindicative. Sa main se resserre dans un réflexe brutal. L'abattement défaitiste est tellement éloignés du João que je connais que j'en reste interdit. Je secoue la tête d'un air effaré.

— Nous trouverons une solution. Ne dis pas une chose pareille !

Il relève le menton et son regard agressif me frappe comme un coup de poing.

— Et que veux-tu donc que je dise ? crache-t-il. Geiléis a été très claire avec moi : lorsque la Horde reviendra, la flèche maudite terminera ce qu'elle a commencé. Le poison se répandra et finira par emporter mon âme !

Il se lève d'un coup, me domine, raide de fureur, sa main grisée serrée à éclater. Son bras s'avance, lentement, et le temps d'un doute, je me demande s'il va me frapper. Je prends douloureusement conscience de ma position vulnérable. Puis ses yeux noirs croisent mon regard alarmé et sa colère s'efface sur de l'effarement.

Il plaque sa main gauche sur son bras. Ses doigts gris s'ouvrent avec une ultime résistance, la tension reflue de ses membres, ses épaules retombent. Je relâche la respiration que je retenais sans m'en rendre compte. Des battements précipités tambourinent encore dans ma poitrine.

Sa bouche se tord sur une grimace contrite et il détourne le regard.

— Je ne suis qu'un mort en sursis ! conclut-il en se laissant retomber sur sa paillasse.

Il garde la tête obstinément baissée et maintient son bras d'une main ferme. J'ai l'impression qu'il n'ose plus esquisser un geste. Je déglutis et tente de trouver les mots pour le réconforter.

— Tu me parais plutôt solide, pour un mort. Je suis sûr que tu es toujours capable de m'envoyer mordre la poussière. Il ne faut pas baisser les bras ! N'est-ce pas toi qui m'expliquais hier encore qu'un combat n'est jamais perdu tant que tu peux te relever ?

J'insuffle tout mon entrain et ma conviction dans ces derniers mots. Il redresse légèrement la tête et je crois voir un éclat fugitif dans ses yeux. L'ai-je touché ? Comme il paraît m'écouter sérieusement, je hausse le ton avec plus de vigueur.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now