16. Histoires anciennes (2/2)

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Plongé dans ses propres pensées, le vieux conservateur ne s'aperçoit pas de notre trouble. Puis, piqué par quelque idée subite, il se lève d'un bond et se dirige vers son bureau. Il remonte le pan de son lourd manteau glissé de ses épaules, se saisit d'une feuille et trempe une plume dans son encrier.

— Je dois avertir Samuel de Pontbréant, en espérant qu'il ne soit pas trop tard ! explique-t-il d'une voix un peu tremblante. Il court un grave danger.

Guy relève la tête, intrigué.

— Qui est ce Monsieur de Pontbréant ? Vous ne m'en avez encore jamais parlé.

Le vicomte agite la main dans un moulinet de manche sans lever le nez de sa missive.

— Il n'a jamais voulu venir sur Paris. Il n'avait pas la fascination de René pour les reliques. Mais c'est l'un des sept participants à la croisade de 1497.

Guy bondit sur ses jambes avec une détente qui me fait sursauter.

— Sept ?

Andigné hausse brièvement les yeux et confirme d'un ballottement de menton.

— Leur troupe était bien plus nombreuse au départ, bien sûr ! Mais selon le récit de René de Rougemont, sept d'entre eux se sont retrouvés entraînés dans une déchirure de la Toile, séparés du gros de l'expédition. Je ne me souviens plus des détails exacts de leur périple et René est toujours resté très évasif sur ce qu'il avait vu de l'Autre Côté. Je me rappelle juste que l'un d'entre eux a trouvé la mort et que les rescapés sont revenus chacun avec une relique. René a maintenu un étroit contact avec son ami anglais. Je connais également l'adresse et le nom de Monsieur de Pontbréant, car je l'ai plusieurs fois invité ici, au Louvre. Il a toujours décliné. René m'a sans doute cité les noms de ses autres compagnons, mais c'était il y a plus de vingt ans. Je ne m'en souviens plus et j'ignore ce qu'ils sont devenus.

Le conservateur termine de rédiger sa lettre, puis se relève dans un élan décidé.

— Si l'Ordre du nouvel éveil convoite les reliques ramenées de Terre sainte par les six survivants, alors ils vont tôt ou tard remonter à Pontbréant. Connaissant leur réputation, je crains pour sa vie. Je dois dénicher un coursier de confiance pour porter ce mot à Chartres au plus vite.

Il passe la main sur son crâne dégarni. De nouvelles stries soucieuses s'étagent sur son front tandis qu'il réfléchit.

— Je vais m'en charger, annonce Guy du ton autoritaire qui exaspère tant Fabrizio.

Le vicomte relève vivement la tête. Il ne paraît pas s'offusquer, j'ai même l'impression qu'il est soulagé. Un sourire ajoute quelques plis au coin de ses yeux.

— Vraiment ? Je n'osais vous le demander. J'avoue que je m'attendais plutôt à vous voir partir sur l'heure pour Lyon. Savez-vous que le Roi a quitté Paris ? Qu'il repart en guerre sur l'Italie et qu'il a appelé ses seigneurs à se rassembler là-bas ?

Guy opine de la tête.

— J'ai appris ces nouvelles et je comptais effectivement m'y rendre, mais je peux faire un détour par Chartres. Cela ne me dérange pas et j'aimerais m'entretenir avec ce Samuel de Pontbréant.

Andigné fait fondre un bâton de cire, cachette le pli et le tend à Guy avec empressement. Ses mains serrent celles de mon compagnon avec gratitude.

— Alors, faites diligence ! En priant pour qu'il ne soit pas trop tard !

Guy revient vers la table basse où repose la relique de Keynes. Il la remet dans sa bourse d'un geste assuré.

— Je vais conserver ceci pour le moment. J'aimerais la montrer à Monsieur de Pontbréant et l'expérience a prouvé que le palais du Louvre n'était pas aussi sûr qu'il y paraissait.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now