19. Un être cher, sacrifié ? (1/3)

163 46 83
                                    

 Je saute à terre et gonfle mes poumons de la fragrance des fleurs sauvages. Leurs pétales colorés embaument les sous-bois de la forêt reculée dans laquelle nous peinons depuis deux jours, sur des sentiers à peine tracés. Après une journée harassante à pousser les chariots ou dégager le passage recouvert par la végétation, tout le monde accueille la trêve vespérale comme une délivrance.

Au bout de la clairière, un étang encadré d'ajoncs offre un miroir paisible semé de nénuphars. Son doux caplotis délace une partie des nœuds anxieux qui m'habitent depuis notre fuite de Paris. Même si aucun signe de poursuite ne s'est élevé derrière nous, l'impression permanente d'une ombre noire penchée sur notre route m'abrase les nerfs. Je m'avance, attiré par cette mélodie irrésistible.

La voix forte de notre chef me rappelle à l'ordre.

— Guillaume ! Veux-tu bien donner un coup de main à Pedro avec les mules au lieu de bayer aux corneilles !

Coupé net dans mon élan poétique, je reviens vers le campement en traînant des pieds. Avec l'Espagnol, nous dételons nos bêtes de trait et les emmenons paître à quelques pas de là. Pendant ce temps, João et Heinrich partent ramasser du bois.

Je termine juste de nouer les longes lorsque Geiléis s'éloigne vers l'étang avec notre grande marmite. Saisissant l'excuse au vol, je la rattrape en courant.

— Attends, je vais t'aider !

Elle me remercie d'un sourire complice qui allège une partie de ma fatigue. Depuis la confidence partagée au fond des bois, je n'ai plus besoin de peser chacun de mes mots en sa présence et sa compagnie aide à me détendre. Nous revenons en portant à deux le lourd récipient et le déposons avec un souffle d'effort près du foyer installé par João.

— Qu'est-ce qu'on mange ce soir ? m'enquiers-je en me frottant le ventre. J'ai l'estomac dans les talons.

— Mais quelle bande de goinfres ! s'exclame-t-elle sur un rire. Je vais cuire une partie du millet, agrémenté de quelques épices.

Heinrich revient à ce moment-là avec une brassée de bois. Il la pose au sol dans un accès de violence et me jette un regard noir.

— Eh ! Fais un peu attention ! l'apostrophé-je.

— Je travaille, moi, plutôt que de bavarder !

Je m'apprête à lui rétorquer ma façon de penser, lorsque Fabrizio intervient de sa voix de volcan :

— Guillaume, si tu ne sais pas comment t'occuper, va donc étriller les mules avec Pedro !

Je pars en fulminant en direction du pré où je retrouve l'Espagnol attelé à frotter le flanc de sa mule. J'attrape l'une des brosses et m'approche de Bella.

— Pff ! Guillaume, va faire ceci ! Guillaume, va faire cela ! ronchonné-je. Je suis le larbin de service ! Et Guy, où est-il pendant que nous montons le camp ? Encore penché au-dessus de ce maudit grimoire, c'est sûr !

— Guy est un noble seigneur, Guillaume, remarque Pedro avec sa bonhomie tranquille. Qu'espérais-tu donc ? Fabrizio ne peut pas le houspiller comme nous autres !

Je frotte le crin de la pauvre bête de toutes mes forces pour passer ma colère. Il a bon dos le seigneur ! Qui écope des corvées en attendant ? Moi ! Toujours moi ! Comme s'il n'y avait personne d'autre taillable à merci dans cette compagnie ! Je secoue la tête pour dégager les mèches qui me tombent dans les yeux.

— Mais quelle mouche pique Fabrizio, depuis deux jours ? me lamenté-je. Il est d'une humeur de chien galeux, sans cesse sur mon dos ! Je ne peux pas bouger le petit doigt sans qu'il le prenne de travers !

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now