Chap 4 : Le cadeau

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   Lorsqu'elle ouvre la porte de la maison, son père est installé au salon.  La nuit est tombée, mais elle constate que les lieux ne sont éclairés par aucune source lumineuse.  Le petit salon est donc plongé dans une semi-ombre.  Seuls les rayons du réverbère de la rue s'immiscent au travers des rideaux de mousseline de la grande fenêtre.   Il relève le menton lorsqu'il entend ses pas et la jeune fille, la main hésitante sur l'interrupteur, croise le regard de son père :

— Bonsoir Papa, chuchote-t-elle, après une hésitation.
Il esquisse un petit sourire que capte un reflet de lumière.
— Bonsoir ma Louann.
Son ton de voix est calme, tranquille.    C'est donc un bon soir, elle le reconnaît.  Elle lui renvoie un sourire timide, en retenant un soupir trop éloquent de soulagement.  Sa main actionne l'interrupteur et la petite lampe du coin, celle qui émet une lumière rosée, rêveuse, s'allume.

   Julien pose sa main sur le canapé près de lui, d'un geste invitant.   Elle s'avance et y prend place.  Doucement, prudemment.  Elle sait maintenant que les apparences sont précaires et peuvent, sans prévenir, basculer d'un coup.
— C'est ta journée d'anniversaire aujourd'hui.
Elle opine de la tête, surprise qu'il n'ait pas oublié.
— Je n'ai pas oublié, lâche-t-il, sur la défensive.
La bourde, se sermonne-t-elle en silence, en forçant ses traits à prendre une expression plus accueillante et sereine.
— Bien sûr que non, Papa.
Elle esquisse un sourire, plus détendue.   Elle est heureuse qu'il soit là pour l'accueillir et lui rappeler son anniversaire.  Ce matin, en le croisant avant d'aller à l'Université, il n'y a pas pensé. Mais elle ne lui en veut pas.   C'est juste bon d'être avec lui, maintenant.
Ensemble. 
Un silence s'installe entre eux.  Puis, il relève la main du côté de sa jambe et lui tend une petite boîte blanche.
— C'est pour toi.
Elle fixe la petite boîte reconnaissable, estomaquée.   Ses yeux vont vers ceux de son père, mais il évite son regard en observant le bout de ses genoux.
Un souvenir la submerge :

~

— Louann ?
La voix est quelque peu énervée.
— Oui, Maman ?
— Où est ma bague ?
Debout devant sa mère, l'enfant baisse la tête et ouvre la main devant elle, une moue coupable recouvre ses traits. Mariza reprend sa bague.
— Je ne veux pas que tu joues avec mes bijoux. Je te l'ai déjà dit. Tu le sais.
— Mais Maman... répond la fillette, je le sais et je ne joue pas avec tes bijoux. Juste avec ta bague.
La mère enfile la bague à son doigt en secouant la tête, un petit sourire en coin fleurit sur ses lèvres. 
— Quand je serai plus grande, moi aussi j'aurai une bague ? demande la fillette, les yeux sur le bijou.
— Bien sûr, ma Loulou.
— Une comme celle-là ?
— Elle te plaît tant que ça ? s'étonne Mariza.
Les étoiles dans les yeux qui se fixent sur elle lui fournissent la meilleure réponse possible. 
— Bon, alors tu sais quoi ? demande la femme en se penchant vers sa fille.  Un jour, c'est promis, elle sera pour toi, promet-elle en posant un doigt sur le petit nez de l'enfant.
Le visage de Louann s'illumine.
— Promis ?  Tu me la donneras ?
— Promis.  Je te la donnerai.  Quand tu seras assez grande.
Au comble de l'émerveillement, la petite gamine sautille sur place.  Sa petite robe rouge, comme un coquelicot, danse autour de ses jambes graciles, alors que ses boucles brunes rebondissent sur ses épaules. 
Mais, soudain, elle retombe sur ses pieds.  Perdue dans ses pensées, un doigt sur les lèvres.
— C'est combien : assez grande ? s'inquiète-t-elle.  Cent ans ?
— Oh que non ! pas tant que ça ! s'amuse Mariza.
— Vingt alors ?
— D'accord, cela me paraît bien : à vingt ans si tu veux.
~

Vingt ans.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant