Chap 15 : Gardien

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— Je ne comprends pas que vous ne savez pas ce qui s'est passé ?  Vous étiez là ou non ?

Le préposé à l'infirmerie qui les a accueillis a été patient. 
Derrière sa moustache broussailleuse parsemée de fils gris, il dissimule un rictus en coin de pince-sans-rire.  D'un œil calme et expérimenté, il a accepté l'arrivée du couple étrange formé de cet homme blond au regard quelque peu paniqué, transportant le corps inerte d'une jeune brunette aux traits fins et pâles.  Il les a dirigés vers un petit lit dans un coin de l'infirmerie universitaire et s'est rapidement occupé d'elle.  Après avoir terminé son examen de la jeune femme, inconsciente sur le petit lit, il prend son temps pour noter le tout sur son rapport. 

En s'assoyant sur le coin de son bureau, il tente d'obtenir des explications plus claires que les bredouillements obscurs et confus du jeune homme.

— Bon, dites-moi au moins son nom, déclare-t-il le crayon suspendu au-dessus de son rapport.

Son nom ?  Il bafouille de plus belle... Comment avouer qu'il ne le sait pas ?

— Elizabeth-Louann...

Une faible voix qui résonne juste à leurs côtés.  Ils se rapprochent un peu plus du petit lit où elle repose les yeux entrouverts.  L'infirmier tâte le pouls de la jeune fille en surveillant sa montre. 

— Restez couché, lui recommande le préposé.  Votre nom complet, s'il-vous-plait ?

— Elizabeth-Louann St-Clair, répond la jeune fille d'une voix faible mais bien réveillée cette fois.

Elle cherche les yeux bleus, puis s'y fixe et ajoute doucement :

— Louann.

Louann.  Il lui offre un radieux sourire. 

— Savez-vous où vous êtes ? demande le soignant.

— Ailleurs que sur les marches du pavillon principal, il me semble, répond-elle d'une petite voix.

L'infirmier hoche la tête et retourne vers son bureau pour y prendre un appareil pour mesurer la pression. 

Lui reste planté près du lit.  Louann.  Il n'ose la toucher.  Elle a refermé ses paupières.  L'infirmier revient et l'ausculte brièvement, prend sa pression puis leur tourne le dos pour noter les constantes dans son carnet.

Elle semble si calme, si faible.  Il ne peut s'empêcher de sursauter faiblement lorsqu'elle ajoute : 

— Je te remercie... Merci : encore.

Les iris dorés émergent sous les sourcils ourlés de cils bruns.  Elle plonge son regard dans le bleu de ses yeux.  Elle sourit tout en douceur.  Un sourire qui ne se reflète pas dans ses prunelles cependant.  Mais elle le lui offre : un sourire.  Il reste immobile un air béat sur le visage.

— On dirait que ça va mieux ?

Il réalise que l'infirmier est de retour près d'eux.  Il s'écarte pour le laisser finir de prendre ses mesures.  Mais il n'envisage même pas de quitter la pièce.

Il ne peut être qu'ailleurs que près d'elle.

L'infirmier range son matériel et prend une pose inquisitrice :

— Quand avez-vous pris votre dernier repas ?

Un repas ?  Elle ne le sait plus.  Elle a la tête qui lui fait mal, elle ne veut pas se creuser la tête.  Cela ne vient pas.  Elle voudrait que le bourdonnement de ses souvenirs cesse.  Manger ? Pourquoi cela a de l'importance ?  Elle s'en fiche.  Elle voudrait partir.  L'infirmier attend.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant