Chap 33 : Vertige

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Les Fêtes sont passées avec son lot d'agitation et de rêveries.  Le père de Louann est encore au Centre.   Il a passé quelques jours avec eux mais désire s'assurer de sa complète stabilisation. Non, de l'abus d'alcool, on n'en guérit pas, mais il s'adapte tranquillement à un nouveau mode de vie et de réflexion.  Louann alterne entre sa maison et l'appartement de Jérémy près du Stade.   Elle accueille avec bonheur l'amitié, sans contrainte ni restriction, que lui offre le jeune homme.  Il fait partie de sa vie.   Il est là.  Toujours.

Janvier s'annonce aussi froid qu'à l'accoutumé, mais a conservé une couverture de neige qui scintille sous un ciel d'un bleu translucide.

Le parc est désert, les enfants ayant rejoints les bancs d'école.  L'Université ne reprendra que la semaine prochaine, alors ils profitent de leur derniers jours de congé.  Se bousculant dans les congères, ils se poursuivent en se lançant des balles de neige.  Ils contournent un bonhomme de neige qui les regarde passer, la tête orné de sapinage et les yeux en cocottes de pin.  Ils rigolent de s'enfoncer jusqu'au genoux lorsque la croûte glacée cède sous leur poids.  Finalement, ils atteignent la balançoire ou subsistent encore deux sièges.  Ils y prennent placent et commencent à osciller doucement.

Alors qu'ils se reposent, elle fixe ses pieds qui déplacent la neige en deux rainures dans leur déplacements.  La gaieté semble l'avoir quittée.  Silencieuse.  Elle semble plus morose ces derniers jours, pour une raison que Jérémy ignore.

— Je parie que j'arrive à aller plus haut que toi !

Il a ainsi découvert qu'elle aime être mis au défi de toutes les façons possibles.  Elle y répond immédiatement : avec un sourire fugace, elle s'aggrippe plus fermement aux chaînes qui retiennent son siège et augmente l'amplitude de son mouvement.  Ses pieds touchent le ciel et sa tête s'envole, son bonnet s'échappe au vent et ses cheveux s'égarent.  Elle se retrouve à contre-jour, silhouette auréolée de mèches bouclées.

...

Elle a six ou sept ans...

— Louann, arrête, tu vas avoir le vertige !

— Maman !   Regarde : je m'envole !

Son rire cristallin résonne encore à ses oreilles...

...

Elle aimerait bien l'avoir ce vertige.   Que sa mère la réconforte dans ses bras le temps que le malaise passe.   Pour l'entendre lui dire d'une voix faussement fâchée : « Je t'avais prévenue » sentir son odeur, sa chaleur et sa main sur ses joues.

Penchée à l'extrême vers l'arrière, elle ferme les yeux et offre son visage aux timides rayons hivernaux.   Son élan s'épuise doucement mais elle ne semble plus se préoccuper du défi lancé. Le balancement s'amenuise, ses longs cheveux balaient la neige et s'écument de flocons blancs.

Elle se relève brusquement et se retient au poteau de côté pour garder son équilibre.

Jérémy débarque aussi de son siège.  Il ramasse le bonnet et la regarde, l'air soucieux :

— Est-ce que tout va bien ?

— Oui, un peu de vertige, c'est tout.

Elle s'efforce de chasser les souvenirs et de lui offrir un demi sourire rassurant.  Il hoche la tête, partiellement convaincu.  Il ne dit mot, sentant que Louann se retire encore dans des pensées innacessibles.

— Tss, c'est juste une excuse ! ajoute-t-il moqueur.  Parce que tu as perdu et tu le sais.

Louann sent un franc sourire naître sur ses lèvres.  Encore une fois, il lui rend les choses plus faciles, lui offre une porte de sortie confortable.  Une autre occasion où il respecte son silence, sa pudeur de confidences.

— Allez viens ! dit-il en lui remettant son bonnet sur la tête, je t'offre un café pour se réchauffer.

Ils quittent le parc.  Silhouettes encapuchonnées dans cette fin d'avant-midi alors que le soleil dépasse la moitié de son chemin dans l'azur glacial.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant