Chap 39 : Émergence

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Le paysage défile.  Les arbres portent leur nouveau feuillage aux teintes tendres : petites pousses dans les ramures qui se déroulent avec timidité vers le soleil de cette journée de printemps.  Dans l'habitacle, Louann est silencieuse et a les yeux fixés sur le images qui défilent.  Jérémy respecte son silence et ne tente pas de forcer le dialogue. 

Sur le chemin vers la rive sud du Fleuve, le paysage se transforme doucement, quittant la plaine fluviale et se dirigeant vers les premières montagnes montéringiennes.

Ils approchent du Mont Saint-Hilaire et la route longe des collines recouvertes de jeune verdure qui s'illumine sur leur passage.  Au bout de près d'une heure d'un trajet silencieux, la voiture s'engage dans une allée bordée de vergers en pleine floraison.  Après s'être garé, Jérémy vient ouvrir la portière à Louann et l'accompagne ensuite sous les frondaisons ombrées de dentelles blanches.

Le soleil, le ciel bleu, les blanches fleurs vaporeuses des pommiers qui les surplombent et embaument l'air de leur doux parfum, le Mont St-Hilaire qui veille du haut de sa cime sur les vergers qui bordent sa base ; tout se rejoint pour faire de ce lieu un endroit féérique.

Ils grimpent en haut d'une petite colline qui dominent les vergers où s'alignent les pommiers en fleurs.  Ils aperçoivent de rares visiteurs qui, comme eux, viennent profiter de ces lieux champêtres pour faire une pause.  Sur l'une des pentes de la colline, une auberge de campagne, un « Bed and Breakfest », ouvre ses persiennes sur ces lieux bucoliques.  Un jeune homme en chemise blanche s'affaire à installer de petites tables aux couleurs vives sur une terrasse.  Probablement le premier dîner de saison qui pourra se prendre en extérieur.

— C'est beau non ? murmure Jérémy en lui adressant la parole pour la première fois depuis près d'une heure.

Le menton se relève du collet de laine et effectue un tour d'horizon.  Les yeux de Louann se fixent un instant sur les éléments du paysage.  Un tour rapide, distrait.

— Oui...  Magnifique.

Le second mot est ajouté en vitesse, comme pour s'assurer de donner la bonne réponse. 

Il soupire.  Ce n'est pas ce qu'il veut, ce qu'il souhaite.  Pas de faux semblant, pas de parole vide de sens, dans le seul but de lui faire cesser l'imposition d'un dialogue.  Il aimerait qu'elle s'exprime pour de vrai.  Qu'elle râle et se choque d'avoir été kidnappée contre son gré, de ne pas avoir eu son mot à dire sur la destination.  Qu'elle se plaigne de ces lieux trop clairs, trop loins, trop chauds, trop... trop. 

Il préférerait qu'elle crie, qu'elle lui reproche de s'immiscer en dirigeant sa journée et son planning.  Qu'elle lui lance à la figure qu'elle en a marre qu'il s'en fasse pour elle...  du moment que ce ne soit pas de lui carrément. 

Réagit Louann...  

Les abeilles bourdonnent dans les pommiers, des oiseaux chantent dans les branches.  Elle se tait.

— Avoue que tu t'en fous ! lance-t-il d'une voix où perce un rage latente.

Elle l'observe un instant, le visage neutre.  Les yeux morts.  Puis, elle reporte son regard vers la dentelle des fleurs de pommiers qui bruissent devant eux.  Les mains dans les poches de sa trop chaude veste, elle semble si lointaine.

— Louann...

Sous le bonnet de feutre, aucun trait ne bouge.  Sa patience n'en peut plus de ce masque froid et indifférent.  Il fait un pas vers elle et lui soustrait ce chapeau qu'il hait et le lance au loin.

— Louann !

Elle se tourne brusquement vers lui en fronçant les sourcils.  Elle cherche du regard son bonnet et le voit qui gît au pied d'un pommier.  Elle replace d'un geste rageur ses cheveux et lui fait face.  Il a la mâchoire serrée, les poings fermés.  Sa respiration est accélérée et le bleu de ses yeux, où une tempête se forme, commence à lui faire un peu peur.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant