Chap 23 : Thé

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L'air frais de l'automne les rattrape dès la sortie de l'immeuble : gris, venteux et brumeux.  Il ne lâche pas sa main et l'enveloppe entièrement dans la sienne.  Elle est si froide...  Comme si elle ne réussissait pas à fabriquer sa chaleur corporelle...

Le vent qui les chasse enterre tous les bruits environnants.  Même la ville qui s'étend sous eux semble lointaine et muette.  Alors qu'il observe la menace de l'air lourd qui les entoure, il réfléchit.  Il aimerait l'amener en un lieu où elle pourra se reposer.  Chaleur et confort.  Un endroit pour manger, ou dormir, ou parler, ou ne pas parler.  Sécurité et calme. 

Au lieu de prendre le chemin familier du tapis roulant vers le bas de la montagne, il l'entraîne vers le stationnement de taxis sur le côté du pavillon et ouvre la portière arrière de l'un d'eux en l'invitant du geste à y prendre place.  Elle entre et se pousse sur l'autre siège pour lui faire place et ils se retrouvent côte-à-côte sur la banquette arrière.  Alors que le chauffeur lui jette un œil dans le rétroviseur, il lui donne son adresse et observe Louann.  Le regard perdu par la vitre fumée, elle ne semble plus être consciente de tout ce qui l'entoure. 

En fait, elle ressent un instant de réalisme qui lui rappelle qu'il n'est pas prudent d'embarquer avec un quasi-inconnu pour une destination encore plus mystérieuse...  Elle se dit qu'elle devrait être prudente et conserver sa méfiance...

L'instant d'après, sa tête se penche et elle voit les yeux bleus qui la scrutent avec discrétion.  La grande main chaude enveloppe de nouveau la sienne.  Elle laisse aller sa tête contre le dossier, ferme les yeux et tente de s'inonder de cette chaleur.  Elle a si froid.  Elle est si fatiguée.  La réalité lui semble si noire.  La chaleur peut-elle devenir lumière ?

Elle se laisse porter dans ce trajet inconnu.  La chaleur sur sa main ne réussit pas à monter plus haut, cependant elle savoure cette simple sensation aux bouts de ses doigts.  Elle en oublie tous ses doutes.

Quelques vingt minutes plus tard, le taxi s'arrête devant un immeuble à logements de quatre étages.  Par la fenêtre, elle voit, planant au-dessus des toitures des immeubles, le mât du Stade olympique qui les chapeaute.  Il règle la course et sort, elle le suit.  Il lui tend la main pour l'aider à sortir du taxi et la conserve prisonnière de sa chaleur alors qu'il la précède vers la porte de l'immeuble.  Pour débarrer la porte, il quitte sa main et lui tient la porte.  Elle entre avec un petit sourire.  De nouveau des craintes effleurent son esprit mais sa fatigue les enterre rapidement ainsi que le regard franc qu'il lui porte.

—Sur la droite, au premier.

Ils montent une volée de quelques marches et empruntent le couloir de droite.  Devant la deuxième des quatre portes, il sort son trousseau de clef et lui ouvre la porte de son appartement.  Alors qu'il pose son sac au sol et referme la porte, il lui dit, d'un ton un peu nerveux : 

—Si j'avais su que j'aurais de la visite aujourd'hui, j'aurais rangé un peu...  Tu peux poser tes choses dans la garde-robe. 

Lui-même enlève son manteau et ses bottes, pour se retrouver en sweet-shirt et jeans.  Elle voit un orteil qui dépasse d'un trou dans une de ses chaussettes et cela la fait sourire un peu.  Il suit son regard et agite ses doigts de pieds.  Il s'éclaircit la gorge et se dépêche d'aller ouvrir les rideaux de l'immense porte-fenêtre qui occupe le mur du fond, tout en ramassant en passant quelques vêtements et vaisselle sale qui traînent.

—C'est pas très grand mais j'adore ce coin, on est tout proche du Stade, du Parc Maisonneuve et c'est ultra-tranquille.  Il y a de très bons endroits pour s'entraîner et faire de la photo.  Fait comme chez toi, ne te gênes pas.  Je vais nous faire du thé.  Tu aimes le thé ?  Tu as faim ?

Il s'immobilise près de l'entrée de la petite cuisinette et se tourne vers elle :

—Désolé, je t'inonde de mes paroles...  ajoute-t-il avec un sourire penaud.

—...

—Louann.

Elle lève les yeux vers lui.  Des yeux bleus, vivants et inquiets pour moi.

—Jérémy.

Il se sent heureux de l'entendre dire son nom, tout bêtement.  C'est comme si j'entendais mon nom pour la première fois.

—Un thé, c'est parfait.

Il se rend aux fourneaux en sifflotant.  Elle l'observe un moment.  Comme tout semble simple et calme ici.  Un thé.  Chaleur, réconfort et attention.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant