Chap 48 : Équilibre

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En cette fin de juillet, alors que la canicule s'abat sur la ville, ils prennent la route de la côte est des États-Unis, pour se rendre sur la péninsule de Cape Cod.

Ce voyage est un coup de tête de Jérémy, alors qu'en paquetant ses livres dans des cartons, le jeune homme est tombé sur la petite boîte contenant les cartes postales envoyées d'un peu partout dans le monde par ses parents.  En les regardant, ses yeux se sont fixés sur un paysage d'une plage au sable blanc et il a eu le goût d'y amener Louann.  Au sud ?  Trop loin, quoique...

Un coup de fil et il a déniché une petite villa de vacances situé sur le board walk de la côte est de la péninsule, le long de l'océan Atlantique.  Après un appel à Louann - et un certain temps de pourparlers plus tard - elle s'est laissée convaincre.   La soirée pour faire leurs bagages et le lendemain matin, il la cueille chez elle.

Ils roulent dans la lumière du matin et traversent le poste frontière.  Dans les États du Vermont et du New Hampshire, ils font quelques haltes pour se restaurer et admirer le paysage de ces États du Nord-est.  Enfin, après plus de huit heures de route, passé Boston, ils arrivent en vue de l'océan et de la Baie de Cape Cod.  Ils se rendent alors à la petite villa sur South Shore Drive.   Elle est comme promise : simple, accueillante et lumineuse.   Le temps de poser leurs bagages et ils ressortent pour marcher sur la plage dans le jour qui décline.

Il fait beau, chaud et le vent salin éloigne d'eux la lourdeur de la ville et des préoccupations.

L'esprit de Jérémy se ressource de toute cette immensité de ciel et d'océan mais aussi de la présence, or de toute contrainte de Louann.  Il se sent bien : parce que c'est l'été, parce que c'est les vacances, parce que les vagues apportent un nouveau rythme à son âme... parce qu'il veut passer encore plus de temps avec elle.

Louann ne parle pas beaucoup, mais ses yeux sont clairs et vifs.  Elle sourit plus souvent depuis l'été.  Alors qu'ils marchent pieds nus dans les vagues qui s'étirent sur la plage, elle l'éclabousse et le taquine.  Elle a l'air d'avoir réellement, enfin, vingt ans. 

Ils admirent des surfeurs qui déambulent dans l'écume des vagues et aperçoivent même au large la tête timide d'un phoque gris.  Absorbée par cette vision surprenante, Louann se fait bousculer par une vague plus forte et Jérémy l'éloigne de justesse en lui prenant la main.  Ils se réfugient un peu plus loin au sec, mais il conserve la petite main dans la sienne.

Lorsque le soleil descend à l'horizon, les pieds nus dans l'écume des vagues, ils restent l'un près de l'autre à admirer le spectacle.  La jeune femme sent une vague de mélancolie intense l'assaillir, mais le contact de la main qui protège la sienne lui apporte une ancre à laquelle s'accrocher.  Elle pose un moment sa tête sur l'épaule de son ami, et elle revient à un rythme de respiration plus libre.

Il l'observe à la dérobée : face à l'astre couchant, les yeux mi-clos, elle semble absorber les rayons orangés.  Son esprit cartésien ordonne encore une fois à son cœur de se calmer.  Mais il reste sourd à ses efforts.  Il n'écoute rien : elle est si jolie, si lumineuse... si vivante.

Il la revoit à l'entrée de l'Université,  lors de leur rencontre inattendue dans le Bistro, au Cimetière effondrée dans ses bras, dans le verger sous les pommiers, alors qu'il l'avait provoqué...

Elle remarque qu'il l'observe.  Penchant la tête de côté, un demi-sourire s'étire sur ses lèvres.  Et puis, elle ouvre grand ses yeux dorés et le regarde.

Alors, il reste estomaqué !  Elle lui offre un regard d'elle-même, de la vrai Louann.  Celle qu'il a entraperçu, pour quelques fugaces instants, depuis un an.  Mais il la sent pour de vrai.  Elle se tient là, devant lui.  C'est un sourire qui reflète l'intérieur et qui irradie vers lui, juste pour lui.

Elle est heureuse.

Non, elle est libre.

Elle lève son visage vers lui, sans cesser de sourire.  Sa main libre vient se poser en une tendre caresse sur la joue de Jérémy.

Il ne trouve plus rien à dire à son cœur, c'est lui le maître à présent.  Il s'incline devant sa volonté et vers le visage offert.  Gardant ses yeux bleu en extase sur le visage, il hésite au dernier instant.

S'étirant sur la pointe des pieds, le visage féminin vient à sa rencontre et l'embrasse comme si c'était la chose la plus naturelle au monde.

Elle est libre.  Elle est heureuse... et elle le choisit, lui.

Alors il comprend.  Il comprend que ce n'est pas une histoire de mots.  C'est une histoire de sensations, de sentiments et d'émotions.

Refermant ses bras sur le dos de Louann, alors que ceux de la jeune brunette enlace son cou, leur étreinte se prolonge et se complexifie dans toute sa beauté.

C'est comme...

C'est comme un navire ballotté par la mer alors que le ressac l'entraîne et que le vent l'emporte au loin.  Il croit garder le cap, mais il n'en est rien, il se retrouve à la merci des flots déchaînés.   Sans peur, pourtant, il se laisse diriger, confiant d'arriver à bon port.

C'est comme rêvasser étendu dans un champs : les yeux perdus dans l'immensité du ciel.  Les nuages naviguent au-dessus de nous, passant, changeant de forme, s'étirant et puis s'éloignant.   On ignore ce qu'ils deviendront mais ils seront toujours reformés, en un cycle serein et éternel.

C'est comme un fou rire impromptu, qui naît du hasard, d'une complicité, d'un regard.  L'un de ceux qui vous prend aux tripes et s'échappe sans crier gare vers l'extérieur.  De ceux qui vous envahit, qui vous inonde et qui est contagieux.  Une véritable explosion de joie qui nous laisse pantelant et étonné, mais ravi.

C'est comme un jeune enfant qui, lové contre vous, se détend au point d'être si confortable qu'il s'y endort.  Chaleur, douceur.  Tendresse indicible.  Confiance absolue.

C'est comme se trouver sur une plage au soleil couchant.  Des bruits de rires et d'éclaboussures des enfants.  Quelques cris de mouettes et de goélands.  L'odeur de la mer qui chatouille le nez.  La chaleur du sable sous les pieds.  La lumière rouge sous les paupières fermées.  

Louann et Jérémy font parti du monde mais sont seuls au monde. 

Un équilibre parfait.

« L'impression fondamentale d'être exactement là et où je dois être en cet instant infini... »

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant