Chap 28 : Cristallisation

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Première neige.

Sur les trottoirs d'une blancheur immaculée, ils marchent, accrochés l'un à l'autre comme deux anneaux d'un cordage.  Jérémy se remet d'une lourde grippe qui l'a tenu à l'écart du monde depuis une semaine...et surtout loin d'elle.  Hors de question de prendre le risque de lui transmettre ses microbes.  La fin de session arrive et avec elle, la semaine tant redoutée des examens de décembre.  En tant qu'auditeur libre, il ne recevra aucune certification officielle, aucune évaluation.  Seulement une attestation de présence, si méritée, ce dont il doute finalement, ayant décroché un autre engagement pour une série de cinq nouvelles pour une maison d'édition policières.  L'écriture l'occupe de plus en plus.   Il ne s'en plaint pas mais il avait bien hâte de retrouver Louann.

Les voici enfin réunis après une semaine de textos et de conversations téléphoniques.  Le ciel est envahi de nuages saupoudrant de cristaux tout le paysage environnant, dans le calme silence de ce dimanche matin.  C'est la première neige qui demeure au sol.  Tout est blanc et pur.  L'air est lavé de ses impuretés.  Les arbres dénudés se retrouvent ornés de faisceaux de dentelles blanches.
Le chemin de leur pas coordonnés laisse un sillage unique sur le mince édredon.  Ils déambulent en silence, s'enfonçant au hasard dans le parc du Mont-Royal.  C'est ainsi, dans cette infinie blancheur, dans l'intimité de leurs haleines brumeuse emmêlées, se soutenant au bras de Jérémy, que les mots franchissent enfin ses lèvres comme un déluge.

Avec la force du coeur, ce courage qu'il a su percevoir en elle dès les premiers instants, elle lui raconte l'histoire de son père, ce malheur qui l'accable et l'emporte à la dérive.

De sa mère, pas un mot... elle ne peut pas.  Pas encore.

Mais elle lui parle... comme pour rendre la situation plus réelle.

Elle explique les bières de plus en plus nombreuses, les bouteilles de vodkas retrouvées dans les tiroirs du bureau ou derrière la machine à laver, les absences au bureau, la compréhension du patron, la cave à vin dévastée, les absences durant les soirées, puis les journées... les pertes de mémoires, l'esprit confus de son père...

Le flot de paroles se déverse par à coups... elle fait des pauses, puis recommence ou continue sans prévenir, sans autre rythme que celui de ses souvenirs, de ses craintes et de ses cauchemars.

Au détour d'une pizzeria, à l'abri d'un café, elle lui raconte aussi les nuits sans sommeil, l'angoisse de laisser son père seul, le poids trop lourd pour ses épaules.  La peur de le perdre.

Mais de l'histoire du départ de sa mère... pas un mot.   Tout ce qu'il sait, c'est qu'elle n'est plus là... qu'elle est seule avec cet homme perdu qu'elle ne reconnaît plus.

Il l'écoute sans l'interrompre, honoré d'avoir sa confiance, heureux de partager ses pensées, ses souvenirs, de lui servir de soutien et de confident.

Sa voix tremble à certains instants.   Parfois.  Souvent.  Mais elle ne pleure pas.  Pourtant, ses paroles et son histoire l'émeuvent souvent.  Lui-même se laisse envahir par des sentiments à l'unisson de le jeune femme.  Il ne se raconte pas, mais sa compassion est tangible et son esprit se penche vers celui de la jeune femme.

Dans l'air pur des rues hivernales, elle fait une pause, un silence, puis reprend...

Il est émerveillé par tant de force.

Il ne sait pas ce qui la soutient...

Dans les moments de silence, la main de Louann étreint davantage le bras du jeune homme, tentant de lui transmette des pensées inavouées...

C'est à ton regard plein de tendresse que je m'accroche et puise le courage nécessaire à continuer.  Mais je ne peux te le dire car j'aurais peur de t'avouer cette responsabilité que je t'accorde... au risque de te voir fuir.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant