Chap 18 : Une porte

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Elle referme la porte derrière elle.  La maison est plongée dans le noir.  Elle pose ses livres et ses clefs sur la table de l'entrée.  Allume le plafonnier.   Un instant aux aguets, elle fronce les sourcils.  Tout est calme.  Trop.  Elle dénoue et enlève son écharpe.  Avec son manteau, elle l'accroche à la patère de l'entrée.  Le silence est inquiétant.
— Papa ?
Pas de réponse.  Silence.
— Papa ?
Elle avance dans le salon, allume la lumière, se dirige vers la cuisine.
Personne.  Silence.

Elle monte au second.   Ses chaussures claquent sur les marches.   Elle toque à la porte de la chambre paternelle.  L'inquiétude est grandissante, comme un poing qui s'abat sur son estomac.  Elle ressent du remord : elle aurait dû rentrer plus tôt.
— Papa ?
Pas de réponse.  Silence.   Elle toque encore une fois.
—Papa ?
Sa voix est plus faible mais monte dans les timbres aigus.  Son cœur s'affole.
— Papa ?
Elle ouvre la porte.  Silence.  Obscurité.  Elle allume.

Il n'est pas là.

Elle s'affole, inspecte sa propre chambre et la salle de bain.  Seul le silence et l'abandon lui répondent.
Affolée, elle redescend pour refaire le tour du rez-de-chaussée.  Elle vérifie la petite cour arrière : personne.  Dans l'entrée, elle voit le trousseau de clefs au sol, le manteau et les souliers usés de son père, qu'il a abandonnés dans un coin.   En se retournant, l'esprit cherchant la solution, elle tombe face à face avec la porte du sous-sol.

Elle expire doucement, en fermant les yeux.

Le sous-sol.

C'est dans un autre sous-sol que leur vie a basculé.  Dans l'autre maison.

Notre maison.

Celle où les beluets se servaient au petit déjeuner.  Celle où...
Elle respire à fond.    Cela l'aide à se calmer... parfois.
Ici, il n'y a pas de trace d'infractions, pas de braquage, de serrures forcées.
Pas cette fois-ci.

Mais, l'inquiétude s'est métamorphosée en angoisse.  Son estomac pèse une tonne.
D'une main moite, elle tourne la poignée du sous-sol.
Lorsque la porte s'ouvre sur la pénombre, elle appelle :
— Papa ?
Un filet de voix.  Terreur.  S'il était trop tard ?

En descendant les marches, elle cherche l'interrupteur mais ne le trouve pas.  Elle se souvient alors que ce sous-sol, elle n'y est pour ainsi dire jamais venue depuis le déménagement, il y a six mois.   Du coin de l'œil, elle capte un mouvement au sol.  Elle dévale les marches et avance à tâtons dans le noir.  Le bout de sa chaussure heurte et fait bouger un objet sur le sol.  Tintement cristallin.  Elle se baisse dans le noir et explore avec ses mains devant elle.   L'un de ses pieds écrase un objet avec un crissement, elle ressent quelque chose de cassant sous ses semelles.   Elle s'éloigne vers le mur et cherche nerveusement l'interrupteur.  Enfin, elle le trouve et l'actionne.  Une chiche lumière éclaire le sous-sol où s'entasse encore des boîtes, un vieux fauteuil et autres objets inutilisés.

—Papa, tu es là !
Un corps inanimé, étendu au sol sur un vieux tapis imbibé d'un liquide rouge.
—Non ! Pas vrai !   Mon Dieu Papa ?  Réponds-moi !
Un cri.  Un malaise.
Elle sent son cœur qui s'arrête, son esprit qui divague...

~

Un autre sous-sol, une autre fois.
Les yeux de son père qui lui bafouille ce qu'il a vécu en rentrant ce soir-là :
l'infraction,
   les dégâts à l'étage,
       les traces de violence dans la maison,
           la descente au sous-sol,
                 sa descente aux enfers...

~

Elle ferme les yeux avec force pour effacer l'image de tout ce sang autour de son père.  Une mare de sang qui flotte autour de lui.
Un gémissement la ramène à la réalité.
—Papa !  Tu es blessé !
Horrifiée, elle s'agenouille près de lui, se penche vers son visage, cherche à savoir d'où vient tout ce sang.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant