Chap 41 : Lutte

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Après une heure, elle ressort de la clinique et vient le rejoindre sur le banc public où il s'est installé, sa tablette ouverte pour corriger son dernier chapitre.  En l'apercevant, il range son appareil dans son sac et l'accueille en souriant.  Elle paraît songeuse.  Cependant, Louann paraît moins sur ses gardes qu'à son arrivée, ce qu'il conçoit comme un bon point.  

Elle s'assoit près de lui, ou plutôt elle se laisse tomber avec un soupir silencieux.   Il respecte le silence qui s'installe alors qu'elle offre son visage aux chauds rayons de soleil de ce mois de mai qu'embaument les lilas qui poussent en bordure du stationnement.  Il s'interroge sur ses impressions suite à cette première scéance et se sent un peu responsable de la voir perturbée.  Car, au fond, même si c'est Louann qui l'a demandé, c'est lui qui l'a conduit ici, à cette clinique médicale pour amorcer un suivi médical et psychologique.

Finalement, les yeux toujours fermés, elle laisse tomber :

— Dans le bureau où j'ai attendu mon rendez-vous, il y a un beau tableau avec un texte qui l'accompagne.

Ne voilà certainement pas le genre d'informations auxquelles il s'attendait.  Mais il ne dit mot.  Elle ouvre ses yeux doucement et se retourne vers lui.  Il remarque alors ses paupières gonflées et quelque peu rouge.  Il se retient de lui prendre la main et s'empêche de prendre un air affligé, il sait qu'elle n'aimerait pas.  Il sait être patient.  Présent, mais patient.  Elle s'exprimera, fera sortir ses réflexions, mais à son rythme.  Il l'invite à continuer d'un signe de tête.

— Il raconte une vieille légende algonquienne : le sage du village qui explique à son petit-fils qu'en chacun de nous le Grand Manitou a mis deux loups qui toute notre vie se livrent une bataille.  L'un est un être-loup issu de l'obscurité :  méchanceté, colère, impatience, tristesse, regret, apitoiement, culpabilité, ressentiment, mensonge.  Voilà ce qui définit ce loup-là.

Louann ouvre une main, la paume vers le ciel.  Puis sa seconde main s'ouvre à côté de la première : 

— L'autre être-loup est, par contre, né de la clarté : bonté, joie, paix, amour, espérance, sérénité, bienveillance, empathie, vérité. 

Les deux mains s'entremêlent devant le visage de la jeune fille avant de se poser sur son ventre : 

—  L'enfant demande à son grand-père : « Lequel des deux loups gagne la bataille ? »

— Et ? questionne Jérémy alors qu'elle fait un silence prolongé.

— Alors le vieux lui répond :  « Celui qui se nourrit ».

Jérémy ne sait que rajouter, ni ce que Louann attend de lui.  Elle semble hésiter, tordant la ganse de son sac entre ses doigts.  Ses yeux se fixent ensuite sur l'azur de ceux de Jérémy. 

— J'en ai parlé à la Docteure qui va me suivre, une psychologue...  Je lui ai demandé si ce truc de nourrir les loups... bien, je lui ai demandé si ça marchait si c'était quelqu'un d'autre qui nourrissait le loup - le bon loup j'entends.

Il est un peu perdu dans ces réflexions.

— Et, qu'est-ce qu'elle t'a répondu ?

— Une réponse de psy tout crachée : « Chacun doit trouver en lui-même les ressources pour atteindre son objectif »

— Ah...

— Elle m'a aussi dit qu'il n'y avait pas de réponse simple à ma question.  Ainsi, parfois, quand les forces nous manquent pour nourrir le bon loup et aussi pour empêcher les loups de se battre en nous, l'aide de quelqu'un à l'extérieur, qui  veut bien se battre pour nous... cela peut nous aider.

— Et ...

— Elle a rajouté qu'elle ne sera pas cette personne, car son rôle est de m'aider à comprendre les combats qu'il y a en moi mais que je devrai trouver les ressources en dehors de sa présence, si je veux parvenir à l'autonomie...  Elle va m'accompagner mais ne s'impliquera pas dans cet affrontement...  Je dois trouver moi-même.

Il comprend ce qu'elle veut dire...  enfin, il croit.  Les yeux dorés qui le toisent avec sérieux confirment son sentiment. 

C'est bien ce que je crois.

— En fait, poursuit-elle tout en douceur, elle m'a dit que je devais surtout me fier à ceux que j'aime, à mon expérience...

Un temps d'arrêt :

— Et que te dit ton expérience jusqu'ici ?

Elle n'hésite pas une seconde :

— D'après mon expérience ?  Ça marche... Jérémy, tu... tu nourris mon bon loup.

Le Loup clair.

Je l'apprivoiserai.

Le Loup obscur.

Je le ferai fuir.

Il aime cette image.  Il lui sourit en se levant. 

Sa main l'invite à le suivre.   Quand sa petite main se confie à lui, il en ressent un tendre fierté.

Ils se dirigent vers la voiture du jeune homme.

— Un resto ?

— Oui, j'ai faim moi aussi.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant