Chap 27 : Confiance

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Comme il se retourne vers elle, en s'essuyant les mains avec le linge à vaisselle, il aperçoit une bouteille de vin devant Louann.  Surpris, il soulève des sourcils inquisiteurs.

— J'étais sûre qu'ils prendraient ton article, explique la jeune femme.

Il bafouille, touché par cette assurance et cette confiance en lui.  Il reste là, en contemplation, heureux que ce petit bout de femme soit entré dans sa vie.  Voilà longtemps que quelqu'un ne lui a pas exprimé une telle certitude en ses talents.  Il se sent revenir en arrière : un gamin abandonné en pension, assit avec son professeur de français qui l'encourage à continuer ses écrits.  L'homme bedonnant et grisonnant a su alors lui donner confiance.  Louann le porte à nouveau, en quelques mots, vers plus d'audace – aussi la silhouette devant lui est drôlement plus agréable !  

Ainsi, cette après-midi,  il s'est rendu très confiant à cette entrevue, la tête gonflée des images des quatre dernières semaines en sa compagnie.  Il l'observe, attentif à chacun de ses traits.  Que j'aime t'avoir dans ma vie.  Mais je n'ose te l'exprimer de peur de t'effaroucher. 

Elle se trémousse, mal à l'aise sous le regard d'azur.  Que veulent dire ses prunelles qui se fixent sur elle ?  Et ce silence ?  A-t-elle fait une bourde ?  Ils n'ont jamais pris d'alcool ensemble.  Boit-il ?  Je ne devrais pas exhiber d'alcool, peut-être... avec mon père qui...  Mais, il ne sait pas encore toute son histoire.

Il réalise son immobilité malaisante et s'en extirpe avec un sourire reconnaissant :

— C'est formidable !  Je te remercie Louann !  Attends... il faut des coupes !

Et il se retourne pour chercher dans les armoires quelque chose qui puisse faire honneur au vin.  Il déniche deux petits verres à pied.  Il les pose devant elle.

— Zut !  Un tire-bouchon !

Et le voilà qui retourne à la recherche de l'objet convoité dans les tiroirs.  Il ne se rappelle pas en avoir un !  Il boit rarement autre part qu'au bistro ou en boîtes.  Finalement, il extirpe un couteau et une tige à brochette et se retourne vers elle :

— Je ne sais pas si cela pourra faire l'affaire.  J'ai déjà lu que...

Il s'arrête en constatant qu'elle est en train de verser du vin dans les verres, tout simplement.  Il prend le bouchon dévissable qui trône sur la table. 

— J'oubliais que les bouchons de liège sont de moins en moins populaires, même pour des vins de qualité.

Elle lui tend l'un des verres.  Un sourire illumine son visage devant la mine déconfite de Jérémy, son attirail dans une main et le bouchon dans l'autre.  Il libère ses mains et prend la coupe improvisée.

— Tu aimes le vin j'espère ? s'inquiète Louann, le sourire mourant sur ses lèvres.

— Bien sûr...  surtout celui qui n'a pas besoin d'ouvre-bouteille.  Merci Louann.

Le sourire revient.  Ne jamais avoir d'ouvre-bouteille. 

Ils trinquent.  Le vin est doux, sucré.  Elle l'a choisi ainsi.

Le tintement du four rappelle le cuisinier qui sort le plat avec des mitaines avant de garnir deux assiettes du repas fumant.  Il s'assoit face à elle.  Il l'observe anxieusement prendre une bouchée.

— Alors ?  C'est comment ?

Ce n'est qu'en entendant la question qu'elle prend conscience du goût de la nourriture dans sa bouche.  Soudain, elle a du mal à déglutir.

— C'est... épicé, avoue-t-elle.

Mais elle avale tout de même sa bouchée.

Il s'étonne.

— Vraiment ?

Il prend une bouchée qu'il mâchonne d'un air attentif.  Les yeux arrondis par la sensation dans sa bouche, avec empressement, il prend sa coupe et avale un bonne gorgée de vin. 

Il voit les coins de sa bouche frémir : elle est sur le point de sourire à nouveau.

— Il y a en effet peut-être un peu trop de piment de Cayenne, avoue-t-il le visage rougissant.

Ça y est, elle sourit.

— Toi, ça va ? s'étonne-t-il en la voyant prendre d'autres bouchées sans broncher.

Elle ne semble pas souffrir de la surcharge d'épices.

— Ma mère était mexicaine, explique-t-elle en reprenant une autre bouchée.

Il note le soupçon d'ombre dans son visage et le verbe au passé, mais demeure en retrait de ce que cela suppose.  Elle reprend le contrôle d'elle-même, il le voit.

C'est la première fois qu'elle mentionne sa mère devant lui.  Sa gorge s'est serrée mais le mauvais moment s'est passé mieux qu'elle ne l'aurait cru.  Parce qu'il est là et ne cherche pas à s'immiscer dans ses sentiments.  Elle se sent en confiance : il respectera son silence, attendra.

Elle le voit reprendre du gratin et réagir aussitôt, en replongeant dans son vin.

— Prend du pain, lui conseille-t-elle.

Il accepte le bout de pain qu'elle lui tend et en engouffre un bon morceau dans sa bouche.  La mie tendre et douce rafraîchit sa langue enflammée. 

Elle sourit de nouveau. 

Il se dit qu'il a réussi le meilleur gratin de pâtes et saucisses de sa vie.   

Le repas se poursuit doucement.  Le repas est épicé, le pain doux et le vin sucré complète ce duo.

Et le point essentiel : il la voit se nourrir.  C'est ce qui compte, le but qu'il s'est fixé depuis qu'il la connaît.  Sans connaître toute son histoire, il sait que cette nourriture lui manquait.

Une nourriture faite de leur présence mutuelle et d'attentions.

Une nourriture enrichie de regards et de sourires.

Elle se nourrit d'espoir, il la nourrit de vie.

Son corps s'épanouit.  Ses joues se colorent de rose, et ce n'est pas que le vin ou l'air vif d'octobre.  Son pied est plus ferme, sa respiration plus libre, sa marche dénote davantage d'aplomb.

Et elle sourit de plus en plus facilement. 

Quelle est belle !

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant