Chap 44 : Refuge

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Avant de pousser la porte de la clinique en cette belle soirée de début juin, elle fait un temps d'arrêt.  Ils se sont disputés la veille.  En fait, c'est  plutôt elle qui a perdu son contrôle... pour un objet égaré qu'elle recherchait fébrilement dans l'appartement du Stade et elle accusait Jérémy de l'avoir caché volontairement.  Elle est partie en furie, sans même lui révéler la nature de cet objet.  Louann a retrouvé l'objet égaré en question dans la poche d'une autre veste en arrivant chez elle.  Louann s'est alors sentie très mal de s'être emportée de la sorte contre son ami.  Elle a bien tenté de rejoindre Jérémy au téléphone pour s'excuser, mais il n'a pas répondu de toute la journée. 

Et pourtant, en levant les yeux vers le banc, elle le voit.  Il l'attend.  Comme à chaque fois. 

Il est toujours là.

Elle réalise alors la grandeur de la ténacité de son ami et surtout l'importance qu'elle lui accorde.  Pas seulement en regard de son appui, mais surtout de son amitié.

Elle se dirige vers lui, le cœur étreint de remords pour l'affront qu'elle lui a causé encore une fois.

Il la voit venir et l'observe d'un regard indéchiffrable.

Jérémy, vas-tu me pardonner ?

Comme elle s'arrête devant lui, il se penche sous le banc et, d'un sac en papier, en sort un café-vanillé et une orangeade pétillante. 

— Tu as le choix : caféine ou fausse vitamine C ajoutée !

Le regard bleu s'illumine et Louann pousse un soupir de soulagement : il ne lui en veut pas.  Elle prend le café et s'installe près de lui.

Elle prend un gorgée de café parfumé.  Sa chaleur se joint à celle qu'elle ressent aux côtés du jeune homme.

— Merci...  pour le café...  et d'être là malgré mon comportement enfantin.

— J'avoue ne pas avoir trop compris.  Il me manque des infos je crois...  Mais, tu sais, moi aussi j'ai des excuses à te faire.  Je t'ai boudé en ne répondant pas à tes appels.

— Mais tu es là, affirme-t-elle.  J'ai mérité que tu m'ignores un peu. 

Un petit silence s'installe.  Autour d'eux,  les gens circulent, entrant et sortant de la clinique.  Les bruits de la circulation accompagnent le chant d'un merle, perché sur une toiture voisine, et les cris des enfants, qui jouent au soccer dans le parc adjacent. 

Un petit vent chaud vient agiter les cheveux de Louann qui enlève ses souliers et remonte ses genoux contre sa poitrine.  Pendant qu'ils sirotent leur breuvage, Jérémy l'observe : aucune trace de rouge dans ses yeux, pas de résidus de sel sur ses joues et son souffle a un rythme serein. 

— Cela semble aller aujourd'hui ?  demande-t-il d'une voix prudente.

Après un temps de réflexion, sourcils froncés, elle se tourne vers lui et lui offre un petit sourire : 

— Oui, on pourrait dire ça, admet-elle.

— Tu te débrouilles bien alors ?

Elle hausse les épaules, voulant donner un air nonchalant à sa réponse, mais il voit bien qu'elle est contente :

— C'est ce que le docteur dit... 

— Et toi ?

— Moi ?  ... je crois...  oui.

Jérémy ressent un sentiment de joie comme les bulles d'orangeade qui pétillent sur son palais.

Alors qu'elle porte son café à ses lèvres, elle fouille dans la poche de sa veste et en sort un petit objet qu'elle sert dans son poing.

— Voilà l'info qui te manque, dit-elle en posant l'objet dans la main de Jérémy.

Il observe la bague dans le creux de sa main.  Un jonc doré avec une petite pierre blanchâtre qui reflète des couleurs irisées.  Elle est remarquable malgré sa petitesse et le temps qui a patiné les gravures autour de l'insertion brillante.  Il voit Louann qui ne quitte pas le bijou des yeux.

— Elle est très belle, c'est une opale ?

— Quand j'étais petite, je croyais qu'elle avait appartenue à une magicienne... 

— L'opale a des vertus de contrôle et de changement, si je me souviens bien.

— Tu fais dans la joaillerie ?

— C'était pour une de mes histoires, un vol dans un musée d'une couronne ayant plusieurs gemmes incrustés et...  peu importe :  C'est ce que tu cherchais chez moi ?

— Oui...  Désolé.  Elle était chez moi, dans ma veste grise.

— Pourquoi avoir paniqué comme ça ?

— Elle était à ma mère.  Mon père me l'a donné de sa part pour mes vingt ans. 

— En septembre ?

— Oui.  Je ne l'ai plus quitté.  Je la garde toujours dans ma poche.

Elle reprend le bijou, le fait tourner entre ses doigts puis se résigne et la remet dans sa cachette. 

— J'aimerais la porter mais je n'y arrive pas, confie-t-elle les yeux dans le lointain.  Ce serait chouette... une belle manière de la sentir près de moi.

Sa voix est empreinte de tristesse, de mélancolie.  Mais pour elle, c'est un pas de plus vers le mieux.  Elle parle, elle se confie.  Mais ne tombe plus dans la noirceur.

Jérémy respecte son silence et se contente de lui ouvrir son bras.  La tête de Louann vient trouver refuge dans le creux de l'épaule amicale.  Pas de crise, pas de larmes.

Elle est triste.

Simplement.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant