Chap 16 : Choix

4.5K 488 7
                                    

Lorsqu'ils émergent à l'extérieur, ils sont accueillis par une bourrasque de vent frais.  Les feuilles multicolores dansent autour d'eux alors que le ciel est gris et menaçant de pluie.  Elle frissonne et cache ses mains dans ses poches.  Son menton s'enfonce dans son collet alors que ses cheveux virevoltent dans son dos. 

Il marche près d'elle, son sac à dos bien gonflé par l'ajout des livres de la jeune femme.  Il se tient proche, la main à l'affut du moindre signe de récidive de malaise.  Il se demande la nature de ses pensées.  En fait, plein de questions lui tournent dans la tête, qu'il n'ose poser. 

Le vent se calme.  Il accélère le pas pour la précéder puis, il se retourne pour lui faire face en lui bloquant en quelque sorte le chemin.  Elle s'arrête, le corps immobile, sur la défensive.  Il tente de capter ses yeux.  En silence, il fixe son visage dissimulé par les longs cheveux.   Soudain, avant même de le réaliser, les mots s'échappent de ses lèvres, traduisant la question qui le tracasse :

— Pourquoi ne pas avoir informé tes parents de ton état ?

Le visage se relève et les yeux dorés lui lancent un petit regard si douloureux, si amer, qu'il se reproche  immédiatement d'avoir laissé cette phrase s'exprimer.

— D'accord, ce n'est pas de mes affaires.  Mais...

Les yeux de la jeune fille retournent fixer obstinément le sol.

— Il y a quelqu'un que l'on devrait prévenir ?

Un regard sombre de biais, sous les paupières de dentelles lui intime le silence.  La douleur qu'il y discerne encore lui fait encore regretter sa curiosité.  Elle reprend sa route en le contournant.  En fermant les yeux, il pousse un soupir discret et la rejoint en quelques enjambées rapides.  Il lui ouvre la porte du passage sous-terrain vers le bas de la montagne. 

Autour d'eux, l'air devient plus chaud dans le tunnel.  Installés sur le tapis roulant, ils restent immobiles l'un près de l'autre.  Devant eux, un groupe de filles, turbulentes et rieuses, occupe tout l'espace.  Cette agitation les empêche d'avoir l'obligation de discuter. 

Il évite de la regarder mais remarque, du coin de l'œil, sa respiration saccadé et l'effort déployé pour garder le contrôle de son corps.  Elle tente de ne pas pleurer !  Il se sent bête de l'avoir poussée à des confidences inavouées.  Il vient pour s'excuser mais elle laisse tomber d'une voix inerte et défaitiste :

— Je ferais mieux de rentrer chez moi... Je crois.

Il déteste son timbre de voix.  Le mot s'exprime sans qu'il puisse le retenir, catégorique :

— Non.

Il est surpris de son audace.  Et pourtant, il réalise qu'il ne veut réellement pas qu'elle le quitte.  Il le pense vraiment.  Non.  Ne t'en va pas.  Non.  Ne disparais pas.  Non.  Reste près de moi. 

Ils arrivent en bas du tapis roulant.  La bifurcation pour l'accès au métro est tout près d'eux.  Elle relève vers lui des yeux qui protestent en silence de son ton autoritaire.  Face à face cette fois, en égales,  ils se jaugent en silence quelques instants.

— J'ai... promis de te... tu dois manger, s'excuse-t-il tout bas.

Elle hausse les épaules.

— Ne te sens pas obligé.

— Ce n'est pas le cas.

Elle baisse la tête et se dirige vers le métro d'un pas lent.

— Louann.

Une main prend le poignet de la jeune femme.  Elle se raidit avec un léger sursaut.  Il la relâche aussitôt et ajoute :

— Cela me ferait plaisir...

Elle tourne ses beaux yeux vers lui.

Il ajoute:

— ...et je sais que je ne suis pas obligé.  Mais j'en ai envie...vraiment.

Elle le scrute.  Comme l'autre soir pour le café.

Il attend : que son observation lui permette de jauger ses intentions, de son honnêteté et de sa sincérité ; qu'elle  prenne ensuite une décision personnelle.  Sans contrainte.

Le temps s'écoule, des étudiants les contournent.  Au loin, on entend une rame de métro qui arrive, puis repart.  Les secondes passent en un souffle.  Il aimerait bien connaître ses pensées, mais cette fois-ci, il se tait et lui laisse ce temps de réflexion. 

Elle hésite.  Elle n'a pas vraiment envie de parler, de s'expliquer.  Mais d'un autre côté, comment expliquer à son père qu'elle soit si tôt à la maison ?  Si le cas est qu'il remarque un tant soit peu ses horaires.  Peut-être n'est-il même plus à la maison ?  Dans ce cas, elle se retrouvera encore une fois seule face à elle-même.

Elle n'a pas vraiment envie de parler.  Mais, elle s'avoue que ce pourrait être plaisant...  On ne sait jamais.  Ne pas être seule, avoir quelqu'un pour... parler.   Et puis, elle réalise que son ventre gronde.  Elle a faim.

Doucement, elle acquiesce.

— Très bien !  Allons-y.

Un sourire s'épanouit sur le visage du jeune homme.  Un sourire qui illumine ses yeux alors qu'il l'invite du geste à prendre la sortie vers le Boulevard Edouard-Montpetit.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant