Clair-Obscur

Chap 30 : Présence

Les semaines suivantes, Louann s'engage à accompagner son père partout où il va.  C'est donc une suite de rendez-vous médicaux pour vérifier le bon fonctionnement du physique, de réunions des Alcooliques anonymes pour consolider le changement de cap et aussi de rencontres avec un psychologue, qui tente de faire s'exprimer Julien qui n'a jamais été très expansif sur son écheveau de sentiments...  Le travail sera long.

Jérémy constate que la jeune femme s'oublie dans ce défilé de responsabilités.  La première semaine, il s'efface de son entourage mais se morfond d'inquiétude et d'ennui de ne pas la voir.  Lorsqu'ils se parlent au téléphone, quasiment quotidiennement, il trouve qu'elle s'épuise dans la démarche de son père mais ne peux se résoudre à l'en dissuader.  Il comprend l'importance et la reponsablité que cela représente pour elle.

En raccrochant, un élan le pousse à aller la retrouver mais il se retient.  Il voudrait la protéger, lui éviter de souffrir, l'empêcher d'être blessée.  Il s'inquiète quand elle dort mal, il s'inquiète quand elle s'inquiète. 

Pour freiner son impatience et utiliser son temps, il se lance dans l'écriture pour oublier.  Mais son inspiration tourne autour d'elle : l'héroïne de sa dernière nouvelle a ses yeux et sa détermination et combat un ennemi semblable.  Elle aussi s'oublie dans sa quête, hausse les épaules face aux inquiétudes de ses proches :  l'ennemi est coriace et pour le combattre, elle ne lésine pas sur l'énergie dépensé ni sur la vigilance déployée. 

Comme Louann lui explique de sa petite voix fatiguée un soir, combattre cet ennemi est tellement plus facile quand il est identifié et reconnu.  On sait pourquoi on prend des coups et contre qui on se bat.  Les choses ont un sens et on peut tracer une voie.  Mais les rechutes sont fortes et les coups durs fréquents.  Il n'y a pas d'horaire.  L'enemi se bat et est sournois.   

— Je prends soin de lui, c'est tout.  Je suis là.  C'est mon père.

C'est la phrase qu'elle donne quotidiennement à Jérémy quand il lui demande comment elle va.  Un soir, après un silence, il lui demande doucement :

— Et toi Louann, qui prend soin de toi ?

Un silence.  Il entend un petit soupir.  Il ferme les yeux.  Va-t-il trop loin ?

— Toi.

Un frisson le traverse alors qu'un sourire naît sur ses lèvres à cette affirmation. 

— Je sais que tu es là.  C'est plus facile.  Je ne me sens pas toute seule.

Il ne sait quoi répondre mais son coeur s'affole tellement qu'il est sûr qu'elle l'entend à l'autre bout du fil. 

— Et ton roman ?

La conversation dévie ainsi vers des sujets divers et plus terre à terre, question de lui changer les idées.

Un soir, son téléphone sonne plus tôt :

— Bonjour, ici Julien St-Clair.  Le père de Louann.  Est-ce que je parle bien à Jérémy Jelmy ?

— Oui, répond-il surpris et quand même inquiet.  Louann va bien ?

— Oui, oui, ne vous en faites pas.  Je... je voulais vous prévenir que j'ai accepté de suivre une thérapie en centre fermé.  Voyez-vous, je sais que vous êtes amis... J'avoue que j'ai épié son téléphone pour avoir votre numéro...  Je... (soupir)...  Voilà... Je... 

— Je suis très heureux que vous m'appeliez, monsieur St-Clair, et je suis certain que Louann est heureuse de votre décision.

— Elle ne le sait pas.

— Comment ?

— Avant de l'annoncer à ma fille, je voulais m'assurer qu'elle ne sera pas seule pour affronter les deux prochaines semaines...

— Je serai là, répond-il tout de suite.  Ne vous en faites pas.  Soyez rassuré.

— Vous m'en voyez très content.  Elle... m'a parlé de vous.

— C'est vrai ?

Elle parle de moi.

— Oui, elle m'a dit que vous l'aviez aidé souvent et qu'avec vous elle se sentait bien.

— Oh, je n'ai pas fait grand chose.

Elle se sent bien avec moi.

— Mais vous êtes là et c'est important pour elle.  Merci.

— Ce n'est rien... pour moi aussi elle est d'une présence importante.

— Donc, je compte sur vous.

— Oui, je vous le promets.

Oui, elle est importante pour moi.