Chap 26 : Bulle

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— Dis-moi : as-tu mangé aujourd'hui ?

Comme à chaque fois où il lui demande cela, elle ne peut s'empêcher de sourire tout en sentant le pincement des larmes aux coins de ses yeux.   Parce qu'il est adorable de s'inquiéter pour elle. Parce qu'elle est émue d'avoir quelqu'un qui s'en fait pour elle.

— Oui, oui.  J'ai mangé, répond-elle évasivement en accrochant son manteau dans le garde-robe d'entrée.

— Quand ?  ajoute-t-il les sourcils froncés.

Elle grimace, hésite.  En se retournant, elle tombe face à face aux yeux bleus.  Elle ne peut se dérober.

— Euh... ce matin, laisse-t-elle tomber.

— Il est presque seize heures Louann.

Elle baisse son regard, à court d'excuse valable.   Il ressent son malaise.

Avec un sourire plein d'entrain, il se frotte les mains et s'exclame :

— Bon, je vais te préparer un petit quelque chose !  Allez, viens !

Il l'entraîne et l'invite à s'asseoir sur un des deux tabourets du petit comptoir de cuisine.   Elle ébauche un demi-sourire.   Au fond, depuis qu'elle vient régulièrement dans son petit appartement, il cuisine souvent pour elle. Elle l'a vu faire des recettes connues mais aussi plus souvent, elle le soupçonne d'inventer au fur et à mesure.

En venant le rejoindre en ce vendredi de la mi-octobre, elle a ressenti une telle joie d'aller le retrouver, alors qu'il n'a pas été en cours, retenu par un entretien avec un magazine intéressé par un de ses articles.  Se rendre à son appartement lui a donné des ailes sur les trottoirs rougies de feuilles d'automne et humide de pluie.

Elle ne parle pas beaucoup.  Elle reste sagement assise à le regarder cuisiner.  Elle l'écoute parler, racontant son entrevue qui semble s'être bien déroulée.   Il fouille dans le frigo et les armoires, coupe, lave, mélange ; le bruit des casseroles et des ustensiles qui rythme ses paroles ; l'eau qui bouille pour le thé ; les couverts qu'il place devant elle.  Ce sont des gestes rassurants, quotidiens, normaux.  Sa voix la berce et l'enveloppe.  Les odeurs lui chatouillent les narines et parfument ce moment : cette bulle de chaleur et de sécurité.

Comme elle se sent bien ici, assit dans cette petite cuisine à le regarder aller et venir.  Elle voudrait ne jamais quitter ce moment.

Il se donne à fond.  Depuis quelques semaines, jamais il n'a eu autant de choix dans ses armoires et son réfrigérateur.  Il y veille.  Adieu les plats surgelés et les fast-food !  Ce soir, il ne prépare qu'un plat de pâtes et de saucisses gratinées, mais il compte bien la régaler.  Il n'est pas un grand cuisinier, se contentant depuis toujours de plats simples et rapides.  Pas de recettes familiales dans son pedigree.  Son carnet culinaire, il le bâtit lui-même.
Surtout depuis qu'il cuisine pour elle.

Il termine de râper le fromage sur le gratin et glisse le plat au four.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant