Chap 9 : Promesse

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Nerveuse, elle boit son café à petites gorgées alors que le sien n'est quasiment pas entamé. Elle a presque fini et il ne veut pas qu'elle le quitte. Il réfléchit donc à un stratagème pour prolonger leur rencontre.

— Tu sais ? Je crois que j'ai quelque chose qui est à toi.

Il sort le stylo bleu de sa poche et le lui tend. C'est un stylo à bille : corps en plastique transparent, capuchon bleu, tout ce qu'il y a de plus banal.

Elle fronce le regard en le voyant :

— Comment es-tu sûr que c'est le mien ?

Il sent son assurance fondre sous le regard doré. Il bredouille :

— Je... je l'ai vu ce matin... tu l'avais oublié ce matin... en cours de littérature comparée... alors je l'ai ramassé... J'ai pensé que...peut-être...j'aurais l'occasion de te le rendre... un de ses jours.

Il se sent misérable. Qu'est-ce qu'elle va penser de lui : un maniaque qui l'espionne et qui ramasse des pièces de sa vie en cachette, qui la traque et la surveille ! Elle va sortir en courant et le fuir pour le reste de la session.

Mais, il est heureux de voir sa bouche esquisser une ébauche de sourire. Son cœur en rate un battement, alors qu'elle tend ses doigts pour prendre le stylo de sa main.

— Merci.

C'est son troisième « merci » de la soirée. Il sent sa poitrine se gonfler d'une chaleur douce et infinie, qu'il qualifie comme un bien-être... de la tendresse ? Il aimerait que cela dure.

Mais déjà, il la voit qui se lève. Il n'a plus aucune alternative : il quitte aussi la table.

Il l'escorte jusqu'à la sortie du bar. Dehors, c'est sombre. La rue est tranquille, la simple soirée tire à sa fin et la vie de nuit du centre-ville va se poursuivre plus loin, dans les discothèques et les clubs. Il fait frais et il n'a pas pris son manteau en sortant, il est au vestiaire. Pourtant, il ne réalise le froid que lorsqu'il la voit réfréner un frisson et resserrer les pans de sa veste autour d'elle. Il se retient de poser son bras sur ses épaules pour la réchauffer.

Elle le regarde en piétinant sur place.

— Bonne nuit, dit-elle tout bas, un peu intimidée.

D'un mouvement imperceptible, il hoche la tête, négativement. Non... Elle ne peut pas tout simplement s'en aller comme cela. Il veut la retenir encore, alors il lance la première chose qui lui vient :

— Non, pas bonne nuit, ce sera mieux si on dit « À très bientôt ».

Elle le regarde en haussant les épaules.

— En quoi c'est différent ?

— C'est plein de promesses.

Elle penche sa tête d'un côté pour observer les yeux bleus du grand blond devant elle. Il semble soudain si maladroit, tout frissonnant dans sa blouse blanche aux manche roulées jusqu'aux coudes. Elle est intriguée. Par le personnage... Attentive aussi, plus qu'elle ne l'a été depuis les six dernières heures. Il lui semble familier dans les brumes des derniers jours. L'Université... Que veut-il me promettre ?

Elle lui lance un regard qui demande des explications. Il prend une grande respiration et se lance avec l'angoisse de se faire rabrouer carrément...

Au fond, elle ne le connaît même pas.

— Ça veut dire qu'on va se revoir.

Pour ne pas donner l'impression d'une question angoissée, il essaye de contrôler sa voix afin que l'intonation ne monte pas trop en fin de phrasé. Mais il constate que c'est quasi raté ! Il grimace.

Elle reste en silence quelques instants. Elle le regarde, le sonde. Confiance ou non ?

Sous l'examen visuel, il se laisse faire, l'esprit en déroute, la gorge nouée.

— D'accord, dit-elle d'un ton sérieux, sans superflu.

Elle lui fait un mince geste de la main et s'éloigne sans un mot de plus.

Pris par surprise, il reste sur place, muet. Debout sur le trottoir, il la voit qui s'en va, éclairée par les lumières des enseignes lumineuses et des réverbères de la rue St-Denis. Elle ne se retourne pas et marche droit devant elle. Il n'a même pas pensé à lui proposer de la raccompagner sur un bout de chemin, mais il ne sait même pas si elle aurait accepté.

Elle a dit d'accord.

Il n'a même pas pensé à lui demander son nom.

Mais elle a dit d'accord.

Il voit sa silhouette qui monte dans un autobus se dirigeant vers le nord, sur Saint-Denis.

D'accord.

Oublié le froid. Sur ce trottoir fouetté par le soir de septembre : le monde prend une autre couleur à l'image de ses yeux.

Des yeux dorés.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant