Chap 46 : Chaîne

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Le reste du trajet se passe tout en douceur.  Louann ignore où il la conduit mais se contente de se pencher vers lui, tenant sa main entre les siennes.    Le lecteur CD transmet des musiques pour lesquelles ils se sont découverts des attraits communs.   Ils ne parlent pas, savourant le seul bonheur d'être ensemble à l'approche de leur futur qui s'est lié sans leur demander la permission.
Elle se sent bien, libre et sereine, alors que la voiture parcourt le chemin vers la destination choisie par Jérémy. 
Il est heureux de ne pas avoir à quitter Louann ou à choisir entre elle et son boulot.  Le destin les réunit dans ses méandres de manière imprévue.  Mais le voici, ému et soulagé, à se diriger non pas vers le lieu d'un adieu mais vers celui d'un nouveau départ.
La voiture s'engage dans les rues sinueuses qui montent vers le Mont-Royal, la montagne qui trône au centre de l'île de Montréal.  Lorsque finalement, Jérémy stationne le véhicule, ils sont près du Chalet de la montagne, à son sommet.  Il sort et vient lui ouvrir galamment sa portière.  Sans un mot, il va dans la valise de l'automobile et y prend un petit sac.  Revenant vers elle, il prend la main de Louann et l'entraîne vers le Belvédère.   Le soir est tombé et la Lune se lève dans l'écrin bleu noir du ciel.    Autour d'eux, nombreux sont les montréalais et touristes qui profitent de cette belle soirée.  Il la conduit en un coin de l'esplanade et pose le sac à ses pieds. Dans un même geste, il pose la veste de Louann sur les épaules de la jeune femme.

— Il ne fait pas froid, proteste Louann

— On ne sait jamais.  La météo se trompe parfois, dit-il d'un air mystérieux.

Du sac, il sort une bouteille de vin rosé et deux coupes - des vraies cette fois - ainsi qu'un ouvre-bouteille.
Il trinquent ensemble et dégustent le vin frais devant le paysage qui se déroule devant eux :  tout en lumières et arabesques, alors que les rayons lunaires se faufilent entre les rares nuages.  Montréal se pavane sous le vent tiède qui se berce entre les nouvelles feuilles qui frémissent avec timidité dans les arbres.  Tout est frais, neuf, lumineux, calme... une belle soirée de juin, mystérieuse comme du velours, remplie de promesses.

Il s'approche d'elle et lui tend un petit écrin bleu. 
— Qu'est-ce que c'est ?
— Un petit quelque chose pour toi.  Ouvre.
C'est une chaîne en or, solide mais délicate.  Sans un mot, elle lui jette un regard interrogateur.
— Je voulais... j'ai pensé que ce serait une bonne façon pour... la bague de ta mère...
Les yeux dorés le fixent pendant plusieurs secondes, puis reportent leur attention sur la chaînette qui brille au bout de ses doigts.  Louann l'examine pendant un long, un très long moment.
Un peu inquiet de son silence, il devient nerveux.  Il commence à regretter son geste, ce n'est pas à lui de lui dicter comment agir, il sait trop combien elle hait ce type de comportement.  Il se gifle intérieurement pour avoir outrepassé les limites.

— Ce n'était peut-être pas une si bonne idée... s'excuse-t-il en baissant les yeux vers ses pieds.
Il suit le trajet de la petite main de Louann qui se porte machinalement dans la poche de la veste, où il sait se trouver la bague de Mariza.   Il observe une traînée d'eau salée sur la joue de la jeune fille. 
Il est encore plus furieux contre lui-même.  Il pose une main sur l'épaule de son amie :
— Louann... je...
Cette-dernière ressent le malaise du grand blond tout empêtré dans ce silence qu'elle prolonge sans le vouloir.  En effet, la voilà avec la gorge si serrée qu'aucun son ne veut en sortir, aucune parole rassurante ne s'articule pour son ami.  Alors, elle sort la bague de la poche de sa veste – voilà pourquoi il la lui a apportée ! – et elle fait glisser le bijou sur la chaîne dorée.  Ensuite, les yeux embués mais un doux sourire aux lèvres, elle lui tend l'ensemble.  Jérémy prend la chaînette avec précaution, effleurant les doigts de la jeune fille. 

Lorsqu'il voit Louann se retourner et soulever sa chevelure pour lui présenter sa nuque, un tel soulagement submerge Jérémy, qu'il se sent aussi léger qu'une plume.   Répondant à son invitation, il lui passe le bijou au cou et attache la chaîne avec délicatesse.   Il est hésitant, autant à cause de sa maladresse que de son émotion.  Le frôlement de la peau tiède lui envoit une décharge de tendresse et il se retient de poser ses lèvres sur le cou gracile.
Et soudain, elle se retrouve dans ses bras, là où elle se sent si bien.  La bouche contre la base de son cou, dans un souffle un peu rauque, elle lui murmure :
— Merci Jérémy.

Alors, qu'il referme ses bras sur elle, et respire l'odeur boisée de sa peau en fermant les yeux, c'est à son tour d'être incapable de parler.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant