Chap 29 : Unique

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Dehors, la neige est tombée toute la journée en un long bal de flocons étoilés.   
En rentrant de son dernier examen de session, épuisée mais satisfaite de son travail depuis septembre et encouragée par ses confidences auprès de Jérémy, elle fait le grand saut :

— Papa, il faut qu'on parle.

Elle fixe son père, assit à la table de la salle à manger, un journal ouvert devant lui.  Elle sait qu'il s'est présenté au travail aujourd'hui en après-midi.  Elle a donc choisi un bon jour, l'un de ceux où il surnage un peu.  Un des rares où il sourit en la voyant venir vers lui.  Un de ceux où elle sait que c'est bien elle-même qu'il voit quand il la regarde et non un fantôme empreint de douleur.

Il reste immobile un instant et referme doucement le journal devant lui.  Elle est ancrée bien droite devant lui, le regard franc et direct.  Un seul coup d'oeil lui permet de constater que l'instant est venu...  Elle va lui parler... là, maintenant.  Il n'y tient pas vraiment.

Il se met debout en se frottant les mains anxieusement. 

— Papa... je t'en prie...

Il s'éloigne en traînant un peu les pieds, la tête penchée et les épaules voûtées.  Comme il le fait depuis plusieurs mois, il évite la confrontation avec toutes les contrariétés.  Il se réfugie dans ses souvenirs, ses douleurs, ses abîmes où il se complaît à se noyer. 

Cependant, elle est prête, décidée.  Elle arrête son mouvement de fuite.  Elle se place sur son chemin et parle d'une voix calme, ferme et posée :

— Papa !  Je t'interdis d'aller plus loin. 

Dressée de toute sa petite taille devant l'homme qui la domine d'une bonne vingtaine de centimètre, Louann semble prendre toute la place.  Sa détermination irradie dans ses prunelles alors qu'elle lance sans trembler ces mots qui se cristallisent dans la pièce :

— Tu es alcoolique papa.

Le souffle coupé de sa hardiesse, elle porte sa main vers son coeur qui palpite.  La vérité est dure et crue : elle en voit son père qui vacille et se retient au mur pour conserver son équilibre.  Elle sent sa poitrine oppressée par cette image mais tient bon.  Ça y est, elle l'a dit. 

Louann s'approche de son père.  En un pas, elle est tout près de lui.  La gorge serrée, elle ajoute :

— Papa... On peut s'en sortir... On peut.

Il porte son regard vers elle et remarque quelque chose de différent dans ses yeux.  Cette lueur qui lui affirme que ce ne sont pas de simples paroles de réconfort ou un souhait de gamine.  Elle a cette conviction.  Cette assurance.

Sa petite fille.  Sa Louann si courageuse.  Celle qui n'a cessée de poursuivre son chemin en l'entraînant avec elle, de gré ou de force.  Cette force qui l'anime depuis...  Si elle y croit, alors... serait-ce possible ? 

Elle ressent l'ouverture de son espoir et s'y engouffre sans hésitation :

— Tu peux y arriver.  Je le sais.  Je t'aiderai papa.  Je suis là.

Elle a toujours tenu parole.  Il le sait.

— Papa...

Il discerne dans les prunelles de sa fille l'image de lui-même, d'eux.  Il retrouve ce geste qu'il a toujours eut envers elle :  il lui ouvre ses bras, il lui ouvre son cœur.

La force et le pouvoir de la tendresse les submergent, uniques et irremplaçables.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant