Chap 34 : Embâcle

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Dans un café-bistro, ils sont attablés depuis une heure à discuter des cours de la prochaine session et à argumenter si Jérémy retourne ou non à l'Université.  Elle voudrait conserver la présence et l'appui du jeune homme, mais celui-ci veut s'investir davantage dans sa passion d'écrire et même tenter sa chance auprès d'un quotidien qui recherche un associé pour une critique littéraire.

Pendant leurs échanges, le téléphone de Jérémy s'est manifesté trois fois.  À chaque fois, il l'a regardé, fait une moue indéchiffrable... puis il l'a refermé.  À la quatrième interruption, il s'excuse auprès de Louann, se lève en poussant un soupir et sort du café pour prendre l'appel.  Par la fenêtre près de laquelle ils se sont installés, elle le voit parler et s'exprimer en gesticulant. Il a l'air furieux.

La discussion téléphonique ne dure pas longtemps.  Lorsqu'il reprend place devant elle, ou plutôt lorsqu'il se laisse tomber sur sa chaise, il prend une profonde inspiration pour reprendre son calme.  Puis, il désactive son téléphone pour de bon, tout en expliquant nerveusement :

— C'était ma mère !  Elle se découvre des fibres maternelles sous les conseils de son psy...  Ah ! les mères quelle plaie quand même !

Il a dit cela sans s'attendre à une quelconque réaction de sa compagne.   Ce n'était que pour s'excuser de l'avoir abandonnée le temps de son appel et aussi pour expliquer en partie sa réaction qu'elle a du observer par la fenêtre et son humeur maussade résultante.

Qu'elle n'est pas sa surprise lorsqu'il la voit éclater en pleurs silencieux.

Il reste interdit, ne sachant quelle attitude adopter.   Oui, il l'a déjà vu pleurer lorsqu'elle lui a confié les malheurs de son père, mais là, cela semble plus profond encore, plus douloureux. Aucun son ne sort de sa bouche, les larmes dévalent en silence la courbe de son profil qu'elle tient obstinément baissé.

Finalement, la main de Jérémy se tend vers Louann, d'un mouvement hésitant.  Les yeux fermés, elle ne réalise pas son geste empathique.  Sa main retombe sur la table, à mi-chemin entre eux.

— Louann... qu'est-ce qui se passe ?  dit-il doucement.

— ...

— Parle-moi...

— Ma mère...

Sa voix s'étrangle.

Elle prend alors conscience qu'elle n'a jamais eu la force d'en parler à qui que ce soit, même pas à lui.  Pas la force ou trop peur de se faire emporter...  Elle devait demeurer stoïque pour mener le combat.  Il y avait quelqu'un qui sombrait plus vite qu'elle.  Elle était la bouée.

Maintenant, elle pourrait enfin se délester de son fardeau en le partageant mais les mots demeurent coincés dans sa gorge alors que les images défilent en stéréogramme dans sa tête, chacune plus pointue que l'autre.  Plus lancinante de douleur.  Elle tente de reprendre son souffle en fermant ses yeux un instant.  Quand elle les ouvre de nouveau, ses yeux larmoyants se perdent dans les prunelles bleues qui la regardent avec une tendre inquiétude.

La main de Jérémy est toujours inerte sur la table entre eux.

Elle essuie d'un mouvement rageur ses yeux de pluie.   Puis, elle se lève d'un mouvement en enfilant son manteau, attrape la main de Jérémy et l'entraîne vers l'extérieur.

— Suis-moi...

En sortant du café, elle hèle un taxi et donne une adresse au chauffeur avant même qu'ils ne soient installés dans le véhicule.  Les portes se referment et la voiture se glisse dans le traffic de ce lundi après-midi.

La jeune femme a les mains crispées sur ses genoux, elle garde le contrôle de ses émotions difficilement.  Jérémy lui tend un mouchoir qu'elle accepte d'un petit sourire.

Sans un mot.

Il reprend sa main.

Chaleur et compassion.

Elle appuie sa tête contre son épaule.

Clair-ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant