Chapitre 3 - Question de survie

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À l'exemple de Gad Elmaleh qui a rêvé d'une banque, moi j'ai rêvé d'un patron. Un patron non acariâtre, doux et gentil, ou au moins aimable. J'ai rêvé d'un patron prenant soin de ses employés et payant les heures sup'. J'ai rêvé d'un patron nous accordant des congés. J'ai rêvé d'un patron idyllique. Utopique.

— Philippine ! Où as-tu mis le rapport d'études ? siffle alors la voix de ce dernier tandis qu'il se tient comme un piquet proche de mon bureau

Dans ton cul ?

— Je l'ai posé sur votre bureau !

— Mais où ? Je ne le vois pas !

Nettoie tes lunettes.

— Il n'y est pas ! vocifère-t-il avant de me foudroyer du regard

— Dans ce cas, quelqu'un l'a déplacé. Avez-vous vérifié l'armoire avec tous les dossiers ? Quelqu'un ne l'aurait pas rangé par inadvertance ?

— Quoi ?

— L'armoire !

Les oreilles, c'est comme les fesses, ça se lave.

Le voyant désespérément se battre avec son propre bureau et le foutoir qui l'accompagne, je me lève de ma chaise et décide d'aller lui donner un coup de main quand, soudainement, je vois l'objet de toutes les convoitises, juste sur son clavier d'ordinateur, n'attendant qu'à être feuilleté.

— Il est là, fis-je en pointant du doigt la pochette jaune se tenant à portée de main.

— C'est une blague ? Ça fait trois fois de suite que je regarde sur le bureau.

— Peut-être avez-vous mal regardé ? sifflé-je en levant les yeux au ciel par désespoir de devoir bosser pour un type plus aveugle que René la Taupe.

— Peut-être devrais-tu te mettre au travail au lieu de flâner ?

Alors, je ne flâne pas, je t'aide dans ta tentative de retrouver un dossier à la pochette jaune fluo que, normalement, tu ne peux pas perdre des yeux.

Les patrons devraient être plus gentils en règle générale, car sans nous, petits employés que nous sommes, il n'y aurait pas d'entreprise et sans entreprise, ils ne s'en mettraient pas plein les poches. Bon, on n'aurait pas de salaire et on vivrait d'amour et d'eau fraîche, mais bon, il faut savoir faire des concessions dans la vie, aussi.

Retournant à mon bureau, je passe une bonne partie de la journée calée derrière un écran à taper machinalement, à enregistrer des noms de clients, à répondre à des appels que je transfère mieux que la standardiste et à me demander régulièrement si vraiment c'est le genre de vie que je rêvais d'avoir. Probablement pas. Personne ne veut d'une vie monotone et plate.

— Philippine, où vas-tu ? m'interroge un collègue en me voyant rassembler mes affaires hâtivement

— Je rentre, c'est l'heure.

— Mais il n'est que...

— Que l'heure de rentrer, justement, le coupé-je en lui adressant mon plus beau, mais plus faux, sourire.

L'heure d'être de nouveau dans les bouchons. L'heure de râler, à nouveau. Je crois que si je ne râle pas deux fois par jour, je suis malheureuse. J'ai des plaques rouges qui apparaissent sur mes avant-bras et je fais de l'hyperventilation. J'ai ce besoin vital, voire nécessaire, de râler. Et c'est en voyant ma voisine du dessus que mon quota va pouvoir être satisfait.

— Bonsoir... lancé-je en m'avançant vers elle.

— Bonsoir.

— Dites, je ne veux pas paraître désagréable, mais serait-il possible que vous appreniez à tirer vos chaises et non à les traîner au sol ?

— Pourquoi ? Ça vous dérange ?

Non, c'est juste un prétexte pour te parler idiote. Bien sûr que ça me dérange ! Ce bruit de chaise métallique que l'on traîne sans ménagement, je ne supportais déjà pas ça à l'école alors ce n'est pas dans la vie de tous les jours que ça va changer.

— C'est pas un bruit permanent. Habituez-vous un peu.

Sale conne.

Je te demande poliment et avec le sourire si tu ne pourrais pas faire un effort et... tu m'envoies chier ? Ah ouais ? Tu oses ? Tu es sûre de toi ? Attends que Philippine ne retrousse ses manches, tu vas voir.

— Bon, écoutez. J'ai été gentille, je vous l'ai demandé avec un faux sourire désolé et presque peiné, d'ailleurs, mais vous me faites vraiment chier. Vous n'êtes pas la seule dans l'immeuble et donc vous êtes priée de prendre en considération les autres. Si cela vous déplaît, je vous suggère de vous rendre à la prochaine agence immobilière que vous croiserez et à demander à déménager pour un rez-de-chaussée ou quelque chose du genre. Ou une maison ! C'est bien, une maison ! Vous pourrez faire tout le tapage que vous voulez et moi, je n'aurais plus à supporter votre nez crochu. Deal ?

Ah ! Je me sens vachement mieux, soudainement ! Ça fait un bien fou !

Philippine 1- 0 Voisine du dessus.

— Sur ce, je vous souhaite une agréable mauvaise soirée, pesté-je en reprenant mon chemin.

— Vous n'avez pas à me parler sur ce ton ! Revenez ici !

— Je vous emmerde, et ce, bien cordialement ! continué-je en la laissant derrière moi.

— Revenez, je vous dis !

— Aujourd'hui peut-être... ou alors demain.

Je vous jure que je fais des efforts, beaucoup d'efforts, c'est juste que les gens... en général... eux, n'en font aucun.

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant