Chapitre 24 - Pas de bras, pas de chocolat

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Cela vous est-il déjà arrivé de dire quelque chose sur le coup de la colère et de le regretter immédiatement après ?

Eh bien, ce n'est pas mon cas.

J'ai passé trois ans dans cette boîte à trimer comme une forcenée, à me démener pour mériter mon salaire et là, j'ai saisi la première occasion de partir en hurlant comme une folle, comme si ma vie était une série télévisée et que j'allais retrouver un boulot au coin de la rue.

Sauf que non. Je suis juste au coin de la rue.

— Vous comptez aller où comme ça ?

Et aussi étonnant que cela puisse paraître, Olivier est sur mes talons.

— Vous savez, il n'y a que dans les films qu'on démissionne en hurlant. Les gens normaux déposent un préavis. Pas de préavis, pas de démission.

— Vous savez ce qu'ils font, les gens normaux, aussi ? Ils portent plainte pour harcèlement quand on les suit d'un peu trop près. Laissez-moi tranquille, maintenant. Vous avez eu ce que vous voulez, bravo, je vous félicite. Vous voulez quoi de plus ? Une médaille en chocolat ?

Parce qu'honnêtement, au vu de mes économies, je n'aurai bientôt pas le luxe de m'offrir une authentique médaille d'or.

— Vous savez, Olivier, il y a peu de choses dont je suis convaincue dans la vie, mais là, tout de suite, je suis intimement persuadée qu'au plus profond de moi-même, je vous hais.

— Vous vous avouez vaincue après tout ça ? Juste pour une petite phrase de rien du tout ?

— Pour s'avouer vaincu, il faudrait au moins avoir eu l'impression de perdre une bataille, or ce n'était pas une bataille que je menais contre vous. Uniquement une légère escarmouche.

— Donc voilà toute l'importance que vous accordez à notre relation ? s'étonne-t-il comme si je venais de le vexer d'une quelconque façon par mes propos.

— Une relation que je qualifierais de toxique. Dangereuse. Malsaine.

— Une relation à votre image, quoi, relance-t-il alors.

Je ne sais pas comment le prendre.

J'hésite entre lui casser le nez, les deux jambes ou faire en sorte qu'il ne puisse avoir aucune descendance susceptible d'être un minimum comme lui.

Des mini Olivier ? L'horreur !

— Vous continuez de me suivre.

— Pas du tout, nous allons simplement dans la même direction.

— Mais bien sûr... Vous me suivez.

Et je ne comprends toujours pas pourquoi, d'ailleurs. Ce n'est pas comme si nous étions proches ou quoi que ce soit d'autre. Je ne supporte pas cet homme et après ce qu'il vient de me dire il n'y a même pas cinq minutes, je ne risque pas de l'aimer tout de suite.

— C'est quoi votre problème à la fin ?

Il s'arrête net et me dévisage avec cet air d'incompréhension.

— Mon problème ?

— Vous êtes là, à me suivre partout alors que tout ce que je veux c'est un peu d'espace et d'intimité. C'est trop vous demander de me foutre la paix ?

— Je peux vous poser une question, Philippine ?

— Non.

— Tant pis, je la pose quand même.

Ne réduisant à presque rien la distance nous séparant, son visage se trouvant à quelques centimètres du mien, il se penche légèrement en avant pour se mettre à ma hauteur.

— Elle remonte à quand, la dernière fois que vous avez pleuré ?

Pleurer ? Pour quoi faire ?

Qu'est-ce que ça apporte ?

—Vous savez, le lâcher-prise, laisser couler au lieu de retenir, ça n'a jamais rien coûté.

— Non, mais de quoi je me mêle ?

— Vous gardez votre masque, vous forgeant une carapace d'acier, sans jamais laisser transparaître le moindre relâchement. Vous ne vous reposez sur personne. Vous n'attendez rien de personne et vous transformez tout ça en une boule de colère et d'agressivité.

— Parce que vous êtes psychologue à vos heures perdues, maintenant ? Première nouvelle.

— Non, j'essaye de faire un premier pas vers vous et à ce que je vois, vous n'avez pas reculé donc d'un certain côté, même si vous me hurlez dessus à longueur de journée, votre corps crie désespérément à l'aide.

— Mais bien sûr... Désolée, mais je n'ai pas de temps à perdre avec ce genre de chose.

— Dites-le.

— Dire quoi ?

— Vous avez dit « ce genre de chose »... Dites-le correctement, insiste-t-il en soutenant mon regard attendant probablement une réponse de ma part.

— OK. Si ça vous tient à cœur : je n'ai pas de temps à perdre avec vous et votre soudaine envie d'être presque sympathique avec moi.

— Et pourquoi pas ?

— Pourquoi quoi ?

— Pourquoi pas ? Qu'est-ce que ça vous coûte ?

— Vous le faites exprès de ne pas comprendre ou vous prenez un malin plaisir à me taper sur les nerfs ?

— Je n'en sais rien. Je suis curieux. En vérité, Philippine, vous m'intriguez, vous m'amusez et je pensais avoir trouvé une digne adversaire.

— Adversaire de quoi ? Nous ne sommes pas adversaires, vous et moi. Nous ne sommes rien. Même pas amis.

— Le croyez-vous ?

— Pourquoi le serait-on ?

Ah ! Ah ! Tu n'as pas la réponse cette fois, n'est-ce pas ?

Tu ne peux pas avoir réponse à tout, Olivier Joyeau.

— Moi, je vous aime bien et je n'ai pas envie que vous démissionniez, révèle-t-il avec un regard de chien battu.

Précédemment, il m'a quand même traitée de tous les noms, il me semble. Il a une drôle de façon d'aimer les gens, celui-là.

— Pourquoi ? Accrochez-vous à quelqu'un d'autre !

— Trop tard, il va falloir faire avec. Je vous suivrai jusqu'à ce que vous vous résiliiez à revenir.

— Vous ne me ferez pas revenir.

— Ah ouais ?

— Ouais.

Et d'un petit sourire, prenant mes paroles pour un quelconque défi que je lui lance, il m'attrape et me jette allègrement sur son épaule.

— C'EST UN KIDNAPPING !

— Vous me remercierez plus tard.

— LÂCHEZ-MOI OU JE CRIE !

— Si vous criez, je vous tape les fesses.

— Quoi ? Pervers !

— Oui, un peu, je l'avoue. Allez ! Direction le bureau maintenant. Il est temps que vous et moi, nous nous mettions d'accord sur ce projet commercial.

Meurs. Moi vivante, je ne négocierai rien.

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant