Chapitre 5 - Comme dans un poulailler

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Le samedi rime généralement avec grand ménage pour ma part. Si mon appartement ressemble à un champ de bataille durant le reste de la semaine, je me prends bien un jour du week-end pour tout ranger, tout laver et tout aspirer. Et pour moi, passer l'aspirateur est certainement le truc le plus drôle au monde. Je vous vois venir, faisant la grimace en disant « Elle est pas bien, celle-là », mais depuis que je suis petite, j'ai toujours appris que pour faire ce que l'on déteste le plus au monde, il faut savoir s'amuser en même temps. Si vous détestez passer l'aspirateur, mettez la chanson « Ghostbuster » en fond et on verra si vous détestez toujours chasser la poussière ou les touffes de poils de votre animal à quatre pattes.

Pour la vaisselle, c'est pareil. Vous avez déjà mis la chanson de « Titanic » en faisant couler votre petite cuillère ? Hein ? Bon d'accord, peut-être que c'est de l'humour de mauvais goût, mais moi, ça me fait rire.

Ma fenêtre grande ouverte, je perçois les voix stridentes de mes voisines s'élever jusqu'à mon étage. Qu'est-ce qu'elles peuvent bien fabriquer encore ? M'approchant, je m'adosse à la balustrade et les vois s'agiter pour je ne sais quelle raison. Regardez-moi ces commères, toutes affalées derrière un petit muret donnant sur l'entrée du parking plus bas.

Curieuse, je descends également, prétextant une sortie de poubelle. Quitte à me joindre au petit groupe, autant lier l'utile à l'agréable.

— Regardez ! Regardez ! Regardez !

— Un camion de déménagement ? Un nouveau voisin, vous pensez ?

— Ou alors c'est quelqu'un qui quitte l'immeuble ?

Va jeter ta poubelle, Philippine, et ne te fais pas remarquer.

— Oh, Philippine ! s'étonne la voisine du 4ème en me voyant passer.

Merde.

— Cela ne m'étonnerait pas que quelqu'un quitte l'immeuble, dommage que ce ne soit jamais les bonnes personnes qui s'en aillent, siffle la sorcière de l'immeuble en me dévisageant.

Madame Roland, depuis que j'ai involontairement écrasé son hamster en lui marchant dessus, me voue une haine sans nom. En même temps, quelle idée d'avoir laissé la porte ouverte ? Et puis, c'est tellement petit ces machins, aussi !

— Voyons, mesdames, comment un petit bout de femme tel que moi peut-il terroriser tout un immeuble ? m'amusé-je en m'approchant d'elles tandis que je les vis reculer d'un pas pour maintenir une certaine distance entre leur petit groupe et moi-même.

— S'il était possible de porter plainte auprès du syndicat de l'immeuble, je le ferais pour ton horrible caractère ! relance Madame Roland qui, visiblement, n'a pas envie de lâcher l'affaire aujourd'hui.

— Mon horrible caractère ? Je le préfère largement à votre haleine putride. Vous utilisez quelle marque de dentifrice, déjà ? Histoire que je n'achète pas la même.

— Petite insolente !

À peine ai-je vu sa main se lever qu'un homme s'interpose entre nous, les bras chargés par un carton visiblement bien lourd.

— Oh ! Excusez-moi, fait mon sauveur de dernière minute en s'intercalant entre nous sans bouger pour autant.

Tiens. Un visage inconnu.

— Mesdames, bonjour. Pouvez-vous m'indiquer où se trouve le concierge pour que je puisse récupérer les clés de mon appartement ?

Sauvée par le gong. Un peu plus et je pense qu'un combat de poules aurait été de mise.

— Et vous êtes ? interroge Madame Roland en s'avançant vers lui d'un pas décidé comme si à elle seule elle représentait l'Inquisition.

— Ah ! Je ne me suis pas présenté, désolé. Je vous serrerais bien la main, Madame, mais j'ai les bras chargés. Je m'appelle Olivier.

— Olivier, hein... Bah tiens, Philippine, rends service à notre petite communauté et montre donc à ce brave homme où se trouve le concierge, m'ordonne cette dernière en poursuivant sur sa lancée comme s'il s'agissait là de me punir pour mon comportement.

Mais bien sûr. Je n'ai QUE ça à faire de ma journée, après tout ! Servir de guide touristique au nouvel arrivant. On quitte alors le petit groupe de dames pour s'engouffrer dans le hall de l'immeuble, direction le concierge.

— Vous ne m'avez pas remercié, annonce soudainement le dernier arrivant

— Pardon ? Vous remercier ? m'arrêté-je, surprise.

— Ne viens-je pas de vous sauver d'une horrible claque et, par la même occasion, d'une belle humiliation ?

— Ah, parce qu'en plus Monsieur prend le temps d'observer. C'est quoi, votre délire ? Attendre jusqu'au moment propice pour ensuite vous pointer tel un héros ? Et vous attendez des remerciements en plus de ça ? Vous ne voulez pas cent balles et un Mars, tant que j'y suis ?

— Non, juste un « merci » m'aurait suffi, rétorque-t-il en reprenant la marche comme s'il savait déjà où aller.

— Eh bien vous pouvez toujours vous asseoir dessus. Je ne vous ai rien demandé, à ce que je sache, reprends-je en le bousculant pour lui passer devant de nouveau.

En arrivant devant la porte du bureau du concierge, il se précipite et l'ouvre d'une main.

— Au final, vous auriez très bien pu lui serrer la main aussi, signalé-je.

— C'était juste un prétexte.

— En quel honneur ?

— Aucune idée. De ce que j'ai entendu, elle me semble plutôt... violente, comme bonne femme.

Mais de quoi je me mêle ?

— Bon, je présume que je peux vous laisser vous débrouiller maintenant... Olivier.

— C'est Monsieur Joyeau.

— Eh bien vous ne brillez pas vraiment pour votre courtoisie.

— Et vous, Philippine, que devrais-je dire ? Que vous avez un caractère isolationniste à l'exemple de l'île portant votre prénom ?

Alors, celle-là, on ne me l'avait encore jamais faite.

— Sur ce, passez une agréable journée, Mademoiselle Îlot.

— Ce n'est pas un îlot... C'est un bel archipel, d'abord !

— C'est ça, c'est ça.

Qui aurait cru que j'aurais pu rencontrer au détour d'un crêpage de chignons vers les poubelles mon alter ego masculin ? Tant qu'il n'habite pas sur mon palier, je m'en fiche. Je n'aurai qu'à lui fermer la porte de l'ascenseur au nez. 

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant