Chapitre 12 - La cerise sur le gâteau

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Alors, la tradition voudrait que dans les repas de famille, on arrive à 10h, on prenne l'apéro jusqu'à 12h, on mange jusqu'à 15h et qu'ensuite... on prenne le dessert et on discute. Sauf que dans ma famille, la discussion survient entre deux olives et trois cacahuètes.

Mais plus qu'une discussion, il s'agit surtout de savoir lequel d'entre nous est le plus malheureux. Une sorte de concours du plus à plaindre.

C'est sans doute pour ça que j'ai fui dans la cuisine. Moi et la bouteille de papy. Rien que tous les deux en amoureux.

— Comment oses-tu, sale garce ?!

On était bien dans notre tête-à-tête jusqu'à ce que Capucine arrive, furieuse, s'apprêtant à m'en mettre une, bien à l'abri de l'assemblée.

— Je te préviens, Capucine. Fais en sorte de ne pas me louper, car, si je dois répliquer, moi je ne te louperai pas.

Je finis mon deuxième verre tandis que ma cousine me fusille du regard.

— Tu n'es qu'une connasse, Philippine.

— Que veux-tu ? On ne peut clairement pas plaire à tout le monde et Dieu merci ! Je n'ai pas à vous plaire à vous.

— Comment peux-tu nous faire ça après tout ce que l'on a fait pour ton ingrate petite personne ?

Pardon ? Tu veux vraiment en venir jusque-là ?

Remplissant mon verre pour la troisième fois, j'en siphonne le contenu d'un seul coup d'un seul.

À ta santé, Philippine ! Reine des garces !

— Tu veux parler de quoi au juste, là ? Ah oui, de la mort de ma mère où vous avez tous dit « bon débarras » parce qu'elle raflait tout l'argent de mon père ? Père tombé dans la dépression et dont personne ne s'est soucié ! Ou alors tu veux parler de papy qui est hospitalisé et que personne ne va voir à part moi ? Moi qui règle ses factures d'hôpital alors que je ne suis clairement pas directrice de ma branche d'entreprise contrairement à certaines. Moi qui me fais un salaire de misère ! C'est ça ? Tu me fais bien rire ma pauvre Capucine. Toujours à jouer la victime. Vous êtes tous là aujourd'hui parce que vous n'attendez qu'une chose : que le grand-père rende l'âme pour sauter sur l'héritage. Vous êtes des vautours tournant autour d'un animal blessé attendant de se jeter sur sa carcasse. Tu sais quoi, ma mère était peut-être une rapiate, mais je préfère largement ça à avoir une mère catin.

Maintenant, si tu veux bien m'excuser, j'aimerais finir mon verre en toute tranquillité.

— Tu ne manques vraiment pas d'air pour agir de la sorte.

— Comment manquer d'air avec une famille qui me gonfle tellement ? Heureusement que je ne ressemble pas à une baudruche comme tata ! T'imagines ? Ça serait le comble.

Vas-y, je peux y passer ma journée, si tu veux. J'ai de l'entraînement et surtout des années d'expérience quand il s'agit de savoir tenir tête aux gens. Tu ne peux clairement pas rivaliser contre moi.

Pauvre Capucine.

Quelque part, j'ai un brin de pitié pour elle. Je la plains.

Comme je plains la majorité des êtres humains sur Terre. Ils ont tout pour être heureux, mais non, ça ne suffit jamais. Il faut toujours plus d'argent. Toujours plus de prestige pour s'en vanter. Toujours plus d'amour, car on en manque quotidiennement alors qu'on vit très bien seul. Toujours plus d'attention parce qu'il faut impérativement que le monde tourne autour de nous. Et puis à la fin, il nous faut toujours plus de temps, parce qu'on en a manqué cruellement toute notre vie durant.

On passe notre temps à passer à côté des choses essentielles sans se focaliser sur ce qui compte vraiment : notre bienêtre.

Oser tenir tête.

Oser dire « non ».

Oser dire ce que l'on pense, sans filtre, sans retenue.

Oser être soi pour une fois.

Est-ce que ça vous trouerait le cul d'être un peu plus honnête avec vous-mêmes ?

— Tu devrais rentrer chez toi, Philippine.

— Oh, mais je ne comptais pas m'attarder plus que nécessaire. J'attendais au moins le dessert.

— Tes paroles plus que déplacées ont été la cerise sur le gâteau.

— Et dire que tu voulais me foutre une tarte...

— Arrête de jouer sur les mots et va-t'en ! Tu n'es pas la bienvenue.

J'ai compris, je suis le chat noir de cette famille. La « non désirée ». Celle que l'on ne fait venir que par politesse en espérant qu'elle refuse ou qu'elle ait un empêchement de dernière minute.

Et jusqu'à présent, je le faisais exprès... De venir. Parce que je savais que ça les faisait chier de m'avoir à table. Je savais aussi que moi vivante, j'étais la seule barrière qui les empêchait de toucher de près ou de loin à l'héritage du grand-père. 

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant