Chapitre 34 - Maman, je suis dans l'avion

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Je n'aime pas les voyages.

En fait, non. Je déteste ça.

Faire sa valise, galérer à prendre que ce qu'il faut, sans que ce soit trop. Vérifier dix mille fois que l'on a tout. Partir, attendre dans l'aéroport. Enregistrer les bagages. Attendre dans la salle d'embarquement. Monter dans l'avion. Se faire guider par une hôtesse qui nous dira où nous asseoir.

Je déteste ces hôtesses de l'air. Trop belles. Trop minces. Trop parfaites. Elles jonglent avec cinq langues différentes tandis que mon français laisse à désirer puisque je ne suis pas foutue de dire « Les chaussettes de l'archiduchesse sont-elles sèches archisèches » sans que ma langue ne fourche.

Des fois, juste pour la blague, j'ai envie de me précipiter en première classe et de m'installer en prenant mes aises.

Mais non.

— C'est par là, couloir de gauche.

Merci. Je sais où est ma place, avec la populace.

Je range ma valise au-dessus de moi et prends place dans le fauteuil tandis qu'Olivier m'imite parfaitement.

— Tu n'as pas dit un mot du trajet jusqu'à l'aéroport. Tu boudes ? me demande Olivier sans cacher son amusement.

— Ne me parle pas. Je ne veux pas t'entendre.

— Tu es vexée qu'on parte aux Philippines ? Alors que tu t'appelles toi-même Philippine ?

Soudain, je perçois un léger ricanement provenant du siège derrière le mien et me retourne pour faire face à une femme d'une quarantaine d'années.

— C'est moche. Vous n'avez pas de chance.

Inutile de me le rappeler.

— Et vous, c'est quoi votre nom ?

— Clitorine.

Clitorine... Original.

Ma foi. Je ne vais pas juger, mais... tes parents ne devaient pas beaucoup t'aimer, Clitorine, pour te baptiser ainsi. Finalement, je me plains, mais il existe quelqu'un encore moins bien loti que moi. Je pensais que c'était un mythe, mais apparemment non.

— Clitorine, hein ? Eh bien, bon courage pour survivre.

— Non, mais on peut échanger, si vous voulez. Ça ne me gêne absolument pas.

Je regarde alors Olivier et dans un petit sourire fier reporte mon attention sur mon interlocutrice.

— Oh non. Vous êtes bien, ici. Vous devez avoir payé votre place assez cher alors surtout, ne bougez pas !

Cela m'évitera d'être à côté de l'autre grain de sable.

— C'est nul de bouder, Philippine. Tu gâches toute la beauté du voyage.

— Et toi, tu me gâches le côté hublot.

— Tu veux que l'on échange ?

— Surtout pas ! Je suis très bien où je suis.

Je déteste les voyages en avion.

Les gens bougent, vous passent dessus, par-dessus, ne s'excusent qu'à moitié, les hôtesses se donnent en spectacle en faisant des gestes improbables censés représenter les gestes de sécurité.

Cela me rappelle le sketch de Gad Elmaleh sur l'avion : « Tu vas mourir. Toi aussi. Moi aussi. On va tous mourir. »

Très rassurant.

Je déteste les avions.

Et je ne fais même pas mention des enfants de bas âge que vous avez dans le dos et qui trouve « amusant » pour je ne sais quelles obscures raisons que taper dans votre siège.

Trop c'est trop. Ça va barder.

— C'est votre fille, Madame ?

— Oui ? Pourquoi ? Mélodie vous ennuie-t-elle ?

— Si... Si elle m'embête ?

Non, je me retourne juste pour te faire la conversation en prenant le risque de me faire un torticolis, grognasse.

— Votre fille « Mélodie » qui n'a pas le visage si harmonieux que ça, d'ailleurs, tape dans mon fauteuil avec ses gros pieds de Big-Foot et cela m'insupporte au plus haut point.

— Comment osez-vous me parler sur ce ton et parler ainsi de ma fille ? Je ne vous permets pas.

— Et moi je ne permets pas le manque d'éducation d'une gamine de gâcher un voyage qui m'est déjà insupportable.

— Vous devriez rester à votre place, Madame.

Rester à ma place ? Pardon ?

Attends un peu, toi, là. Je vais t'étrangler avec ton coussin pour cervical.

— Mesdames, voyons... s'avance Olivier en essayant d'intervenir en bon médiateur dans notre querelle.

— Assieds-toi, toi ! hurlé-je au milieu de la rangée.

Olivier n'at même pas la moindre occasion de dire quoi que ce soit ou d'intervenir pour une quelconque raison que le voilà fixant le fauteuil devant lui.

— Parfait.

Je me rassois convenablement, attrapant le feutre que j'avais glissé dans mon sac de voyage dans un possible « au cas où » et dès que j'aperçois du coin de l'œil son petit peton arriver vers mon fauteuil, j'arrache le capuchon des doigts et fais un trait énorme sous son pied.

— Oh mince ! Rohlala ! C'est que je ne sais plus viser avec toutes ces vilaines turbulences !

Prends-toi ça, petit démon.

— Qu'avez-vous fait ?

— Rien... J'ai eu un moment de tremblement... C'est terrible ! Oh, en plus, il est indélébile. C'est dommage ça. Un feutre indélébile pour des gens débiles.

— Vous n'avez aucun respect.

— Si, pour moi-même, et c'est déjà trop.

Olivier me fusille du regard tandis que Clitorine a son petit masque sur les yeux.

— Quoi ? beuglé-je en lui faisant les gros yeux.

— Tu ne vas pas être désagréable tout le voyage, quand même ?

— Désagréable ? J'suis juste moi-même, là.

Ce qui est vrai.

— Et puis, tu n'as jamais entendu parler du body-painting ? Apparemment, c'est une pratique à la mode. Vive l'art ! Si ça se trouve, j'ai un côté « artistique » profondément refoulé. Tu devrais te méfier, peut-être que ce côté « obscur » pourrait ressortir même lors de mes crises de somnambulisme.

— Tu ne fais pas de crises de somnambulisme, Philippine.

— Qu'est-ce que tu en sais ?

— Tu dors comme une souche.

— Ça pourrait changer.

— Tu comptes me faire payer ta défaite, c'est ça l'idée ? Hein ? Dis-moi ?

— Ma défaite ? Non. Je suis bonne joueuse, je te l'ai dit.

Bonne joueuse. Mauvaise perdante. C'est une question de point de vue, rien de plus.

— Et mon cul, c'est du poulet ?

Ô que je déteste cette expression toute faite !

— Je n'en sais rien, tu picores du maïs avec ton rectum ?

Dis-moi, Olivier, arriverons-nous un jour à passer une heure sans nous battre, nous chamailler, nous provoquer ou sommes-nous voués à ce combat sans cesse jusqu'à ce que l'un d'entre nous, aussi orgueilleux soit-il, ne se déclare vaincu.

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant