Chapitre 31 - Philippine au Mordor

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Au bureau, rien n'a changé. Il y a comme un blanc. Un malaise. Une tension négative. Et moi qui pensais m'être débarrassée de cette atmosphère pesante en m'envoyant en l'air, il faut croire que rien n'a changé.

J'ai pourtant fait don de mon corps pour une bonne cause, merde ! Je vous jure, aucune reconnaissance pour le sacrifice.

— Vous ne trouvez pas que Monsieur Joyeau est extrêmement calme ? s'étonne Agathe, la fille de la compta.

— Peut-être même trop... C'est louche. Moi, je vous le dis, quelque chose lui est arrivé, rajoute Sophie.

— Mademoiselle March, tu crois ? demande Valérie, la reine du commérage.

— Non, sinon il serait en position fœtale dans son fauteuil. Non, je dirais autre chose...

— Quoi ? Quoi ? Dis-nous !

— Il a cette aura qu'ont tous les hommes satisfaits.

— Noooon ! C'est pas vrai ? Tu crois que...

— Après tout, ça reste un homme de bonne constitution, il faut le reconnaître.

Comme à leur habitude, les secrétaires ne manquent pas de veiller à l'animation du bureau plus qu'à s'attarder sur leurs propres dossiers respectifs et, pour couronner le tout, il faut qu'elles le fassent devant mon bureau comme pour me contraindre à écouter leur conversation pleine de potins.

— Il s'est forcément envoyé en l'air récemment.

— Cela expliquerait son retard de ce matin.

Ahaha ! Bien fait. C'est toi que l'on blâme maintenant. Moi, c'est passé comme un rien étant donné que je suis rentrée dans mon petit box à quatre pattes pour ne pas me faire repérer par ces harpies affamées de commérages.

— Vous croyez qu'il a une copine ? Enfin, qu'il voit quelqu'un ?

— Tu parles, ça doit être un éternel célibataire coureur de jupons. Quoique, March en fait un peu ce qu'elle veut à chaque fois.

— C'est clair, ça ne serait pas étonnant de le voir céder dans quelque temps à sa proposition. C'est malheureux.

Désolée de vous dire ça, Mesdames, mais c'est moi qui l'ai mangé tout cru et, à ce que je sache, ça ne lui a pas déplu, bien au contraire.

Et puis c'est quoi votre problème à me balancer le nom de cette infâme rouquine sous le nez ? Vous le faites exprès ? Allez un peu travailler, bon sang !

— Mesdames... commencé-je à lancer en sortant de mon bureau pour les chasser.

C'est que j'ai besoin de retrouver du calme et de la sérénité afin d'avancer dans mon travail, moi.

— Oh ! Mademoiselle Tagliani.

— Il me déplaît de voir que vous accordez plus de temps à vous préoccuper de la vie privée de votre supérieur hiérarchique plutôt qu'à ces pauvres dossiers traînant sur vos bureaux respectifs. Je pensais pourtant que de jolies petites pochettes de couleurs attireraient votre attention qui, je le rappelle, est primordiale pour effectuer un travail jusqu'au bout et convenablement. Or, je suis dans le regret de vous voir ici présentes, réunies devant mon bureau. Il ne me semble pas qu'il y ait une clause de commérage dans vos contrats, non ? Si c'est le cas, il va falloir que je demande au RH de les revoir.

— Et nous qui pensions voir une alliée en vous... siffle discrètement Agathe en détournant les talons tout en me jetant son regard des plus désapprobateur. Comme si ça allait me faire quelque chose.

— Comme le dit l'adage, Mesdames : je ne suis pas ici pour me faire des amies. Contrairement à certaines, j'ai quitté la cour de récré il y a quelques années de cela. Maintenant, cessez vos bavardages inutiles et vos déplacements récurrents devant mon bureau. Vous ne faites que brasser de l'air et j'ai un ventilateur pour cette fonction.

Quel personnel mal recadré, il y aurait tout un travail de management à faire sur la tenue de ces employés, ici.

M'apprêtant alors à retourner dans mon bureau, j'entends une de secrétaires siffler entre ses dents :

— Mademoiselle Tagliani, il me semble que vous étiez en retard ce matin aussi, non ?

Oh la connasse.

J'entends alors les autres pousser un petit cri de surprise et me dévisager avec de gros yeux tandis que je me retourne vers elle, tentant tant bien que mal de me retenir pour ne pas la jeter par la fenêtre.

Non, mais de quoi je me mêle ? En plus, elle a son petit air fier et hautain comme si elle était satisfaite d'avoir répondu à son patron.

Sauf que je ne suis pas Olivier, ma cocotte, et crois-moi que tu peux te mettre le doigt dans l'œil si tu penses que je vais me démonter devant toi.

Toi, tu ne connais pas encore Philippine Tagliani, mais ne t'inquiètes pas, ça va venir. À chacun sa leçon.

— Effectivement, j'étais en retard.

Petit sourire au bout des lèvres qui se retroussent tout en douceur, elle se pense gagnante et tant mieux.

— Et on peut savoir pourquoi ?

— Bien entendu, je vais être totalement sans filtre avec vous. Je travaille dans une entreprise où je suis forcée de constater que l'incapacité règne en maître tandis que je fais le travail de trois secrétaires à moi seule. Bien sûr, je ne peux en vouloir à ces personnes, tout le monde n'a pas le même rythme ni la même intelligence d'esprit de prioriser les dossiers urgents que de s'occuper des fesses du patron. Je comprends. On dit que les femmes sont polyvalentes et peuvent faire plusieurs choses à la fois, mais je crains que l'on m'ait trompée et que je sois entourée de trolls des cavernes. Cela rajoute un charme des plus... exotique, disons-le, à mon cadre de travail. Je sais dorénavant ce qu'a ressenti Frodo au Mordor, toujours surveillé par cet œil gigantesque qui se trouve juste de l'autre côté.

Coucou, Olivier.

— Pour en revenir à nos moutons, ah oui ! Je suis en retard, car me voilà épuisée d'assumer une telle charge de travail donc je n'ai guère entendu mon réveil sonner.

Ce qui est en partie vrai. Mon réveil n'a pas sonné du tout même. C'est Olivier lui-même qui a pris sa place.

— Il faut croire que je dois être une sorte de déesse du travail. Ou une vraie femme, du moins ! Car je sais m'occuper de mes dossiers et des fesses de mon patron.

Et croyez-moi c'est tout un art.

— Parce que, oui, c'est moi qui couche avec lui. Allez, sur ce, bonne après-midi, Mesdames.

Et toc ! Tu voulais savoir quelque chose d'autre ? Dis-le-moi, je suis lancée, là.

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant