Chapitre 20 - Le hasard fait bien les choses

5.7K 957 71
                                    

Je me suis soudainement sentie comme investie d'une mission : celle de lever le voile sur le mystère « Olivier Joyeau ». Non pas que cela me plaise, mais je dirais plutôt que l'idée de trouver d'éventuels points faibles à exploiter m'excite terriblement.

Et pour ce faire, j'ai ce que l'on appelle un coup de pouce : mamie Adélaïde.

— Philippine ! s'écrie cette dernière en me voyant arriver. Comme ça me fait plaisir de te voir ! C'est la troisième fois de la semaine, non ? Tu viens voir ton grand-père ?

— Disons que je fais ma tournée. Je vous apporte des petites cochonneries à grignoter quand les médecins ne seront pas dans le coin.

— Tu es vraiment adorable.

— Je me suis dit que ça changerait. Olivier n'est pas là ? demandé-je par curiosité en fouillant la pièce du regard de peur qu'il surgisse à tout moment.

— Le cherches-tu ? m'interroge Adélaïde en me regardant avec un léger sourire en coin.

— Pas du tout. Je l'évite, justement.

— Pourquoi donc ? Je pensais que vous vous entendiez bien, tous les deux ?

— Olivier et moi ? rigolé-je.

Comme chien et chat, oui. C'est mort.

— On se déteste. Littéralement.

— Hm... Ça, c'est ce que vous croyez.

— Vous allez me dire que de vos grands yeux gris, vous voyez autre chose ?

— Je dis juste que le destin fait bien les choses. Vous vous retrouvez à nouveau !

À nouveau ? Comment ça, « à nouveau » ?

— Philippine ! Je vais croire que tu préfères voir Adélaïde plutôt que ton propre grand-père, siffle une voix en rouspétant derrière moi.

Oh non Papy ! J'allais enfin savoir quelque chose. Pourquoi faut-il toujours que je sois interrompue au bon moment ?

— Paul ! Quelle bonne surprise !

— Adélaïde, dois-je comprendre que tu accapares ma petite fille ?

— C'est une jeune fille tellement charmante. Cela me change du gnome qui me sert de petit-fils !

— Je n'ai pas encore eu le plaisir de le rencontrer.

Crois-moi, papy, tu ne rates rien. En soi, ce n'est pas une grande perte.

— Je te la rends, il est temps qu'elle passe un petit peu de temps avec toi.

— Mais... Je...

— Nous finirons notre discussion la prochaine fois, me coupe-t-elle en me faisant de grands signes de la main comme si elle me chassait de sa chambre.

Qu'est-ce que... ? Non. Je ne suis pas d'accord ! Je veux savoir. Je veux savoir tout de suite ! Vous ne pouvez pas me faire ça !

— Tu viens de plus en plus souvent à l'hôpital, Philippine... Non pas que cela ne me fasse pas plaisir, mais...

— J'essaye de démêler une affaire des plus critique, papy. Dis, Adélaïde, son nom de famille, c'est Joyeau ?

— Hmm... Non, cela ne me dit rien. Pourquoi ?

— Pour rien... Pour rien.

— Tu sais, cette nuit j'ai rêvé de ce moment quand tu venais en vacances à la maison et où tu passais ton temps à jouer avec ce terrible garçon. Tu revenais toujours en pleurs. Une vraie catastrophe. Je ne sais même pas pourquoi j'ai fait ce rêve-là, moi...

— Ah ! Durant les étés que l'on passait ensemble ? demandé-je intriguée.

— Oui ! Tu t'en souviens ?

— Pas vraiment... Cela remonte à loin pour moi.

— Tu m'étonnes. Je me rappelle ô combien tu étais triste quand tu n'as plus eu l'occasion de jouer avec lui.

Je revenais visiblement martyrisée par un inconnu et j'étais triste quand tout ça s'est terminé ? Décidément, rien n'allait quand j'étais plus petite.

— Une amourette d'enfance, sans doute. Ça passe comme les saisons, ces choses-là, fais-je en levant les yeux au ciel.

— Ou ça reste ancré en vous comme une nuit d'hiver.

Après avoir déposé mon grand-père dans sa chambre, je vais l'embrasser et retourne au bureau. Depuis les petits sourires amusés d'Adélaïde, je ne peux m'empêcher de me demander si Olivier et moi avons un quelconque lien, tous les deux. Je me fiche de la nature de celui-ci, je me contenterai du plus perfide qui soit ! Si ce n'est pas le cas... alors pourquoi la vie s'entête-t-elle à mettre cet homme sur ma route ? Où que j'aille ?

L'appartement. Le travail. L'hôpital. Il n'y a pas un lieu où Olivier n'a pas une emprise. C'est complètement tordu comme coup, néanmoins.

Une fois au bureau, je me perds dans ma rêverie en cherchant dans le peu de souvenirs de mon enfance que je puisse avoir. J'envie ces gens qui ont des mémoires d'éléphant, vraiment, car ce n'est pas mon cas. C'est à peine si, moi, j'arrive à me souvenir de ce que j'ai mangé en début de semaine.

— Philippine, tu n'as pas oublié la réunion de ce soir ?

La réunion ? Quelle réunion ?

— Euh, non, non... Pas du tout, fais-je en secouant la tête dans tous les sens comme si miraculeusement le mot « réunion » et son contenu allaient me revenir.

— Très bien. N'oublie pas que c'est important ! Nous allons sceller un important accord avec un partenaire des plus prometteur et je n'aimerais pas que ta simple absence se fasse remarquer.

— Je serai là, bien évidemment.

Je dois être où, au juste ? À quelle heure ? Je dois m'habiller comment ?

Merde. À quoi ça sert d'avoir une tête si on n'a aucune mémoire sur les événements récents ?

— Je vous laisserai donc le plaisir d'accueillir notre invité.

— Avec grand plaisir ! De qui s'agit-il déjà ? Histoire que je me remémore vite fait...

— Philippine... Vous m'exaspérez... Monsieur Joyeau ! J'ai ouï dire que vous avez déjà eu une première approche, non ?

Dites-moi que je rêve. Pourquoi moi ? Qu'ai-je fait de si horrible dans ma vie antérieure ?

Je démissionne. Je déménage et je m'en vais loin. Très loin. Loin de cet homme qui s'enracine dans ma vie.

— Philippine ? Y a-t-il un problème ?

— Non, non... Aucun souci ! balbutié-je en essayant de sortir mon plus beau sourire qui ne sort que difficilement.

Si ! Y a un problème ! Un problème plus gros que ce point noir entre vos deux yeux ! Comment puis-je tolérer sa simple présence ? C'est une blague, c'est ça ? Une malédiction ? Peut-être était-ce un autre homme avec le même nom de famille... Joyeau, c'est réputé comme nom, non ?

— N'oubliez pas, Philippine ! Souriez ! Sourire est primordial pour faire bonne impression !

Comment vous dire, chef ? Je crois que faire « bonne impression » n'est plus possible, dorénavant.

Pas après tout ce que nous avons fait. Pas après tout ce que nous nous sommes dit.

Je crois qu'indirectement, j'ai foutu en l'air deux ans de négociations commerciales.

Mais à part ça, je le vis très bien.

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant