Chapitre 27 - Prend garde à toi

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Les jours passent et s'enchaînent. J'ai perdu le rythme de mon train-train quotidien pour profiter d'un voisinage aux allures de collocation. Le trou béant que j'ai causé entre nos deux appartements n'est guère sur une quelconque liste des réparations et je ne mentionne même pas le fait que dorénavant, quand l'envie soudaine nous prend, Olivier ou moi-même, nous franchissons cette ligne alors interdite.

— Cette robe vous grossit.

Un léger sursaut me prend tandis que je le vois, adossé contre la petite paroi en béton nous séparant, sourire aux lèvres.

— Je ne vous ai pas demandé votre avis.

— Non, mais je vous le donne quand même, dit-il en haussant des épaules.

— Honnêtement, je n'ai aucun conseil de mode à recevoir d'un type qui est fier de porter une chemise rose.

— Elle n'est pas rose, elle est corail. Nuance, très chère.

— Rose, corail, saumon, c'est pareil. Rose, c'est rose.

— Tout comme votre petite culotte est fuchsia.

Ma quoi ?

— D'où est-ce que... soufflé-je en me retournant de tous les côtés pour voir s'il n'y a pas un trou quelque part pouvant lui permettre de voir ce que je porte effectivement sous ma robe.

— Le temps que vous ramassiez vos chaussures, j'ai tout vu.

— Et en plus, vous vous permettez de me reluquer. Vous n'êtes vraiment qu'un sale type !

— Modérez vos propos, ce n'est pas comme si je voulais regarder. Vous n'êtes absolument pas mon genre de femme.

— Ça tombe bien ! Vous n'êtes en rien mon type d'homme.

— Parfait, dans ce cas. Nous sommes voués à nous haïr pour l'éternité.

L'éternité, certainement pas. Logiquement, dans quelques années, nous serons morts. Non pas que je sois pessimiste, mais je suis assez réaliste sous certains aspects. Rien n'est éternel, pas même l'Homme dans sa globalité. Fragile comme il est, un petit virus suffira à le terrasser.

— C'est une chance que vous mouriez avant alors !

— Et d'où est-ce que vous vous permettez de tirer une conclusion aussi hâtive, Philippine ?

— Vous ne connaissez donc pas les statistiques, mon pauvre Olivier ? Les hommes ont une espérance de vie bien plus courte que les femmes !

— Je serai peut-être l'exception, allez savoir.

— L'espoir fait vivre, vous avez raison.

J'enfile alors mes chaussures sur mon canapé en gardant un œil sur ce voisin bien trop curieux à mon goût. Ce dernier ne bouge même pas d'un iota. Il reste planté là, à me regarder me préparer.

— Vous n'avez pas autre chose à faire que de m'observer ?

— Je réfléchis...

— Ah, parce que ça vous arrive ? Là, je suis inquiète.

— Ah ! Ah ! Très drôle. Quel sens de l'humour, Philippine ! Waw ! Je suis impressionné.

— Ouais je sais, je fais cet effet-là à beaucoup de personnes.

— C'est dommage, le seul « effet » que je ressens est celui de la douche froide.

Ce n'est pas ce que j'ai cru comprendre au fil du temps. Mais je ne reviendrai pas dessus. D'ailleurs, ça ne me fait ni chaud ni froid. Je passerai outre cette remarque désobligeante. Je suis l'adulte ici et je le prouverai !

Je vaux mieux que ça.

— C'est pas tout ça, mais je dois accueillir une nouvelle employée dans mon entreprise, dit-il en détournant enfin les talons pour s'en retourner à ses occupations.

— Pauvre d'elle, sans doute ne sait-elle pas dans quoi elle s'apprête à embarquer.

— Je doute qu'elle puisse avoir la moindre idée, mais je tâcherai de la gâter.

— Vous comptez accueillir une employée dans cette tenue ? pouffé-je.

— Non, je ne changerai pas ma chemise, Philippine.

— Je ne dis pas ça pour vos horribles goûts vestimentaires. Après tout, quand on se nomme comme un arbre, je n'ai pas le droit de faire la moindre réflexion. Je vous plains déjà assez comme ça.

Première couche.

— Je dis juste que recevoir une employée avec un bout de feuille de salade entre les dents, ce n'est pas très correct.

Deuxième couche.

Ça, c'est fait.

— À croire que la brosse à dents a été oubliée ce matin ! Ce n'est pas très propre, tout ça. Sur ce, je vous laisse, mon futur patron m'attend. Un homme tout à fait charmant à ce que j'ai cru comprendre !

Et inutile de faire la course contre moi, on sait très bien qu'à ce petit jeu-là, je suis bien meilleure que toi. Tu parlais de digne adversaire Olivier Joyeau, mais sache que jusqu'à présent j'ai été sage. Ce n'était que le tour de chauffe. Maintenant, les choses sérieuses peuvent commencer et crois-moi, ta plus grosse erreur a été faite le jour où tu m'as proposé de travailler pour toi.

Moi, Philippine, championne du monde du râlage, reine incontestée des éternels insatisfaits, commandante en chef des légions de la flemme, sache que j'arrive pour toi. 

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant