Chapitre 53 - Maître et élève

4.6K 796 104
                                    

Je ne peux m'empêcher de suivre discrètement Olivier et son petit frère jusque dans l'appartement, cherchant une quelconque ressemblance entre ces deux énergumènes. L'un est châtain, l'autre est carrément brun. L'un a les yeux verts, l'autre marron. En fait, je ne leur prête aucun trait physique commun, mais sans doute est-ce caractériel. J'ai cru avoir eu le droit à un aperçu tout à l'heure.

— Elle est bizarre, ta voisine.

— Ne fais pas attention à elle, ça lui passera.

— Comment veux-tu que je ne prête pas attention à cette femme qui me fixe depuis dix minutes à travers un pan de mur littéralement au sol. Qu'est-ce qu'il s'est passé ici, au juste ?

— Rien, je fais des travaux de réaménagement.

— T'es propriétaire, Olivier, pas décorateur d'intérieur.

— Écoute, j'apprends, hein.

En fait, connaissant Olivier, je ne suis même pas certaine qu'il saurait se débrouiller avec un pinceau dans les mains. Il n'a pas l'air d'être le type de base aimant l'outillage et le bricolage.

— Tu peux regarder ailleurs, grand-mère ? Tu me perturbes, siffle Timéo en me fixant du regard.

— Dans ce cas, ne regarde pas vers moi.

— Tu es en face de moi !

— Tourne la tête.

— C'est vachement naturel et je ne veux pas de torticolis.

— Oh, bichette ! T'es fragile du cou ?

Vu le regard que me lance Olivier, je ne devrais sans doute pas commencer à titiller son cadet, et pourtant, c'est juste plus fort que moi. Après la misère que ce nain vient de m'infliger dans la rue, je ne vais pas me laisser faire sans au moins un deuxième round.

T'as de la chance d'avoir ton frère, microbe, sinon, je serais devenue ton pire cauchemar sur terre. Crois-moi.

— Je vais faire deux trois courses, je reviens. Ne retournez pas l'appartement, tous les deux. Surtout toi, Philippine !

— Quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Que je vais devoir jouer à la nounou pour une vieille de vingt-sept ans. Cool.

— Ne commence pas, toi.

— Je ne commence rien, je ne fais que poursuivre notre petit échange de tout à l'heure. Celui où, il me semble, tu perdais la face.

— N'importe quoi. À force d'avoir le nez sur un écran, tu ne vois plus très bien les choses, c'est malheureux. On va devoir t'appeler le « binoclard » bientôt !

Il me tire la langue avant d'attraper son sac à dos et de partir s'enfermer dans une chambre au fond du couloir.

— C'est ça ! Boude, tu pisseras moins !

J'en ai maté un, je peux bien faire de même pour le second. Ils ne me font pas peur dans cette famille. Je les aurai un par un s'il le faut.

— Tu pourrais éviter de faire la misère à Timéo pendant que je vous laisse ?

— Ne ramène pas ta fraise, toi. C'est lui qui a commencé.

— Sans doute, mais c'est toi l'adulte, Philippine. Comporte-toi comme tel pour une fois.

Pardon ? C'est lui qui me dit ça après tout ce qu'il s'est passé ?

— T'es mal placé pour me faire la leçon.

— Je... Bref, tu veux manger avec nous ce soir ?

— Ça dépend, qu'est-ce qu'il y a au menu ?

— Salade de pois chiches.

— Oh.

Ça va péter toute la nuit.

— Vendu !

De toute façon, ce soir, je vais certainement finir toute seule dans mon lit avec Bora pour seule compagnie. Ce qui me va très bien, ce n'est pas un chat qui s'étale et qui s'installe. Non, il repère un petit coin et il y reste, sans bouger.

— Demain j'irai... enfin... j'irai là-bas, quoi.

— Tu veux que l'on vienne avec toi ? Ça pourrait faire sortir Timéo.

— Je ne pense pas que ce soit son « truc » d'aller se promener au fin fond de la campagne.

— Non, c'est clair. Dès qu'il n'y aura plus de connexion Wi-Fi, il va pleurer alors tu n'imagines même pas quand il n'aura plus de réseau pour ne serait-ce qu'envoyer un SMS ! Le drame total. Mais si t'es prête à l'accepter, ça me ferait plaisir.

— Tu ne viendras pas te plaindre si je lui fais avaler les pissenlits par la racine.

— Promis !

Au moment même où l'on se penche l'un vers l'autre, Timéo sort de la chambre et nous dévisage avec dégoût.

— C'est dégoûtant. Il y a des hôtels pour ce genre de chose.

— On ne s'envoyait pas en l'air non plus, arrête de tout exagérer.

— Tu ne devais pas aller au magasin, toi ?

— J'y vais, je me fais limite foutre dehors de mon propre appart', c'est fou ! souffle Olivier.

— T'inquiète, je vais le garder à l'œil, fais-je en regardant Timéo, amusée.

— C'est plutôt moi qui devrais dire ça, rétorque son frère en se servant un verre de jus d'orange tout en nous dévisageant avec insistance. Tu ne sembles pas vraiment responsable, pour une adulte.

— Dit-il alors qu'il ne me dépasse même pas encore. Tu n'as pas mangé assez de soupe, mon petit !

— Très drôle, en attendant, moi je vais grandir, toi, tu ne vas faire que te tasser. La vieillesse, apparemment.

— Mais ne connais-tu pas le dicton ? « C'est dans les vieilles marmites qu'on fait les meilleures soupes » ? s'amuse Olivier en soulignant expressément le sous-entendu.

— Ça, je confirme ! rajouté-je.

Je me retourne vers Olivier, ayant parfaitement compris son allusion plus que cochonne tandis que son frère nous dévisage, choqué.

— Vous êtes vraiment dégoûtant, siffle Timéo avec son air le plus dégoûté par nos remarques.

— Oh ça va ! C'est la vie ! Ce n'est plus un tabou de parler de sexe, maintenant. Et puis, tu verras. Quand tu y auras goûté...

— Hop ! Hop ! Hop ! Je t'arrête ! Je n'ai pas besoin de cours particulier en section sexualité. Je suis assez grand pour ça. Merci.

Mettant sa veste, Olivier regarde une dernière fois Timéo avec un léger sourire, main sur l'épaule, avant de lui glisser :

— Tu sais, petit frère, l'amour c'est comme un jeu de cartes : soit tu as un bon partenaire, soit tu as une bonne main.

Mon Dieu, Olivier Joyeau, que vais-je faire de toi ?

— Tu es dégoûtant, tu le sais ça ? Va faire tes courses maintenant ! Je vais repartir traumatisé à jamais.

— À plus tard ! Et ne retournez pas mon salon !

— On va essayer.

Mais ce n'est pas gagné.

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant