Chapitre 52 - Mr De Petit Con et Dame Philippine

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Il y a encore quelques mois de cela, je ne me serais pas permis de rester aussi longtemps allongée dans mon lit, à ne rien faire. Être là, les bras croisés derrière la tête, à fixer le plafond et ses quelques fissures. Il y a encore quelques mois de cela, je me serais levée et je me serais trouvé un truc à faire. N'importe quoi, mais ça m'aurait occupée et c'est de ça que je manque aujourd'hui : d'occupation. J'ai besoin de faire quelque chose.

Auparavant, quand je m'ennuyais, j'allais à l'hôpital. Mais maintenant, j'évite. Plusieurs fois, Olivier m'a proposé de l'accompagner voir Adélaïde, mais j'ai refusé. Même si j'essaye de me convaincre de tourner la page, ce lieu reste pour moi ancré de souvenirs liés à mon grand-père et à sa maladie qui, du jour au lendemain, l'a emporté loin de moi, me laissant définitivement dans une merde sans nom.

— Bon, Philippine Tagliani, tu ne vas pas rester là à faire le nem toute la journée ?

Je pousse Bora du pied avant de jeter la couette sur le côté et de me redresser brusquement, machinalement, tel un robot.

Je déteste ce genre de période. Celle qui est vide de sens et qui ne nous excite pas vraiment. Si j'avais trouvé en Olivier un amuse-bouche délicieux, dorénavant il n'est plus qu'une craquante friandise sur laquelle je mets la main de temps à autre, quand ça me chante en fait, et ça ne le dérange pas plus que ça.

Madame Roland m'évite à la façon « ninja » dès qu'elle me voit apparaître dans l'encadrement de la porte de l'immeuble. On se demande bien pourquoi.

Je n'ai personne sur qui m'acharner. Un punching-ball. Une tête de Turc et c'est, visiblement, ce qui me manque cruellement. Je me sens vide de toute énergie, j'ai l'impression d'avoir perdu la moitié de mon talent naturel pour l'éloquence.

Il faut que les choses reviennent à leur état normal. À l'exemple d'une fleur flétrissant sans eau, j'ai ce besoin en moi qui m'appelle et qui hurle : j'ai besoin de râler.

Merde à la fin.

Donnant à manger à Bora, j'enfile un pantalon de sport, un sweat et m'engouffre dans la foule des trottoirs.

Écouteurs dans les oreilles, je me rends compte qu'une grande majorité des gens ont le nez sur leurs écrans : téléphone, tablette, montre connectée. Ils ne regardent pas où ils vont, mais ils le savent. C'est un automatisme. Ils ne regardent plus le paysage d'immeubles ou la couleur du ciel, ils savent au degré près combien il fait aujourd'hui grâce à la dernière application météo.

Les gens ne prennent plus le temps de vivre. Ils sont branchés. Ils sont connectés. Ils suivent. Ils « likent ». Ils partagent. Ils commentent.

Et ils avancent. Tête baissée, mais ils avancent.

Je vais m'en faire un. Ils m'énervent à avancer comme des moutons allant à l'abattoir.

Volontairement, j'entre dans la première personne qui croise mon chemin, lui donnant un violent coup d'épaule.

Comment il disait, Olivier, déjà ? Ah oui : « Parfois, il faut provoquer les événements. ».

— Hé !

— Pardon...

À en juger par sa tête, c'est un étudiant un peu paumé qui s'excuse en grommelant quelques mots tout juste.

— Pardon ? C'est tout ? Vous venez de me rentrer dedans parce que vous ne regardiez pas où vous alliez et vous croyez que juste un « pardon » balancé à la va-vite va suffire ?

Bon, OK. Théoriquement, je suis la fautive, mais que voulez-vous, je suis née pour ce genre de moment. Je vis pour ce genre de moment. Je me nourris de ce genre de moment.

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant