Chapitre 32 - Ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué

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La dernière fois que j'ai ressenti ça, j'étais assise en face du directeur de l'école. Un peu comme maintenant, sauf que je n'ai pas été convoquée chez le directeur, cette fois, mais dans le bureau de mon patron. Sans doute Olivier a-t-il entendu ma conversation avec les secrétaires et sans doute s'est-il senti investi d'une mission divine ayant pour but de me punir. Pourtant, je n'ai rien fait de mal. Je n'ai dit que la stricte vérité tout en restant polie et courtoise, ce qui reste un exploit pour moi, notons-le.

— Vous me stressez, fais-je en le regardant.

C'est vrai. Il est là, engouffré dans son fauteuil en faux cuir, à me regarder, à me fixer même, avec sévérité et autorité. Ses bras longent les accoudoirs du fauteuil, ses jambes sont croisées et pour la première fois, je me sens mal face à quelqu'un se tenant face à moi.

Il ne peut pas avoir cette prestance quand l'autre rouquine est dans son bureau au lieu de se cacher ?

— Il va falloir que vous m'expliquiez, Philippine.

— Expliquer quoi ?

— Vous leur avez dit. Cela a fait le tour du bâtiment, pratiquement.

— Ah bah, que voulez-vous, je ne sais pas mentir. Je suis comme Pinocchio. Si je mens, mon nez s'allonge.

— Pourquoi avez-vous fait ça ?

Je n'en sais rien. À vrai dire, par deux fois mon comportement a été déraisonnable et illogique.

La première fois c'est quand je suis intervenue sans raison lors de son entretien avec Judith March. J'ai comme eu ce besoin de venir l'aider alors que je m'en foutais qu'il se fasse bouffer tout cru par la première cruche du coin. Bien au contraire, ça m'aurait fait du bien.

La seconde fois vient de se passer quand je me suis sentie dans le besoin d'étaler ma vie privée devant ces femmes.

Pourquoi leur ai-je dit ? Aucune idée. C'était drôle. Les expressions que leurs visages ont arborées étaient de toute beauté.

C'était magistral. Mémorable. Jouissif même.

— Bon, je vais y aller à la bonne franquette, vous permettez que je vous tutoie ? Bref...

Prenant une grande inspiration, je me lève du fauteuil avec cette impression que ce que je vais dire pourrait tout à fait se retourner contre moi.

— Ce que l'on a fait tout à l'heure, c'était sympa, certes, je ne vais pas le nier. Mais là, on dirait que tu n'assumes pas. Je veux dire, c'est toi qui m'as lancée et maintenant tu en as honte ? On dit beaucoup de choses des femmes par les temps qui courent, mais ce n'est pas moi la chaudasse dans cette histoire. Donc, assume les conséquences de tes actes.

— Puisqu'il a été décidé que l'on irait plus par quatre chemins, je vais être franc. J'aimerais qu'au travail, on garde un certain professionnalisme, toi et moi. Ce qui se passe à l'appartement, reste à l'appartement. La sphère privée n'a rien à faire ici. J'ai mis longtemps pour établir ce genre de règles et je n'aimerais pas que la dernière venue y foute le bordel.

— Moi j'y fous le bordel ? répété-je choquée en le voyant retourner la situation contre moi alors que pas plus tard que ce matin, Monsieur était satisfait.

Sans compter, en plus, mon intervention avec Judith March ! Il est gonflé !

— Tout à fait.

— Parfait. Je sais à quoi m'en tenir, alors. En fait, tu cherchais juste un coup... d'un matin.

— Je ne cherche rien du tout. Tu l'as dit toi-même. C'était sympa. Mais je crois qu'il vaudrait mieux que ça ne se reproduise pas, me rappelle-t-il comme si ça allait recommencer.

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant