Chapitre 54 - Bon appétit bien sûr

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Si Olivier était parti pour une salade de pois chiches, il est très vite revenu de la boutique, avec les sachets du chinois du coin.

Résigné à ne pas pouvoir trouver de pois chiches, Timéo le regarde avec un large sourire tandis que je m'efforce d'observer la relation qui unit ces deux frères.

— T'as une façon originale de faire les choses.

— Rupture de stock. Comment peut-on être en rupture de stock de pois chiches ?

— Ce n'est pas grave, chinois c'est très bien. N'est-ce pas, mamie ? Tu sais manger avec des baguettes ou tu voudras une fourchette ?

Ne lui réponds pas. Ne lui réponds pas.

— Et pourquoi je voudrais une fourchette ? Si tu comptes te servir de moi pour en avoir une parce que tu ne sais pas manger avec des baguettes, je peux t'apprendre.

— Je disais ça pour toi.

Oui je veux une fourchette, bordel ! Je déteste les baguettes, je n'ai jamais réussi à manger un seul truc avec si ce n'est un grain de riz. UN GRAIN DE RIZ. Et je ne rigole même pas. Les gens qui vous attrapent un sushi ou n'importe quoi avec, ils ont à mes yeux une sorte de magie en eux. Un pouvoir que je ne saurais définir. J'ai beau regarder des tutos sur internet, je ne sais pas manger avec des baguettes chinoises.

— Timéo, tu mets la table, s'te plaît ?

— Oui, Timéo, mets donc la table ! Rends-toi utile, rajouté-je en accentuant sur chacun de mes mots.

— Dit celle qui squatte chez nous pour manger...

— Hé ! Je suis l'invitée d'honneur de ce repas ! Un peu de respect.

Olivier m'attrape à part, m'emmenant jusque dans mon salon.

OK, de quoi veut-il parler ?

— Sois gentille avec lui, d'accord ? Timéo il... il revient d'un voyage d'études et c'est un garçon plutôt sensible.

— Sensible ? Dis-moi, t'as quoi dans les yeux, actuellement ? Ton petit frère est loin d'être « sensible ».

— Disons qu'il s'exprime à sa façon, mais ne le traumatise pas trop, ok ?

— J'ai l'air d'un monstre ou d'une sorcière quand tu dis ça.

— Je dis juste que ton humour est particulièrement « fort » et que peu de gens peuvent l'encaisser.

Je ne sais pas comment le prendre. Je reste perplexe devant sa déclaration et sa demande. Une partie de moi est outrée, voire carrément vexée, tandis que l'autre s'accorde à se dire qu'il faudrait calmer le jeu.

Est-ce ça « être dans un dilemme cornélien » ? C'est horrible d'être coupée en deux et être aux prises avec soi-même de la sorte.

— Bon, quand vous aurez fini de vous rouler des pelles en secret, on pourra peut-être bouffer, j'ai la dalle moi !

Retournant chez Olivier, je vois Timéo déjà en train de rôder autour de la table, choisissant du regard ce qu'il va sûrement manger en premier.

— Tu t'es lavé les mains avant de passer à table ?

Sérieusement ? Qui fait ça de nos jours ?

— Non.

— Va le faire et Philippine aussi.

— Quoi ? Mais je...

— On ne touche pas à la nourriture avec les mains sales !

— Oui papa.

Il la sort d'où cette autorité soudaine ? D'un biscuit chinois lui ayant dit ce qu'il devait faire ?

— File-moi le savon.

Je regarde Timéo, la main tendue vers moi, attendant le précieux petit rectangle vert.

— T'as pas appris la politesse ?

— C'est juste un savon. Allez, fais la passe.

— Mot magique.

— Vraiment ?

— Oui.

— Bon... s'il te plaît, Philippine.

Et au même moment, le savon me file des doigts pour aller se cacher sous le meuble d'à côté.

— Ah bah bravo !

— Oh ça va, hein ! Je n'ai pas besoin d'une quelconque réflexion. Va le chercher.

— Quoi ? Pourquoi ça serait moi ? C'est toi qui l'as lâché.

— Je ne l'ai pas « lâché », il a glissé et j'ai les bras trop courts pour passer la main sous le meuble.

— Elle doit être dure ta vie... Pas facile d'être petite, hein ? Il faut aussi que mon frère te fasse la courte échelle pour que tu puisses te mettre au lit ou tu grimpes sur le matelas toute seule comme une grande ?

— Généralement, ton frère aime jouer à saute-mouton et il ne m'aide pas à aller au lit. Par contre...

Je m'essuie les mains pendant que ce dernier se baisse à quatre pattes pour atteindre le savon fuyard.

— On fait l'amour par terre, sur le tapis du salon. Le même tapis sur lequel tu t'es assis tout à l'heure.

Son expression de dégoût, mélangée à une pointe de surprise, est tout à fait exceptionnelle. Je ne me lasserai peut-être jamais d'une telle émotion.

— Et la table sur laquelle tu vas manger ? On l'a fait aussi dessus.

— Quoi ? Non ! Vous êtes vraiment des animaux !

— Que veux-tu ? C'est un gourmand, ton frère.

Revenant dans le salon, j'y rejoins Olivier alors que Timéo file tout droit dans la chambre après être sorti de la salle de bain.

— Tu ne viens pas manger ? s'étonne ce dernier tandis qu'il est en train de déballer les emballages des plats.

— J'ai plus faim !

Olivier se retourne vers moi, arquant un sourcil.

— Ne me regarde pas comme ça. Je n'ai absolument rien fait, réponds-je outrée.

Pour une fois.

Philippine - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant