Chapitre 3 - Partie 2

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Les jours qui suivirent, Océane ne retourna pas à la ferme de ses parents. Elle avait besoin de faire le deuil de sa grand-mère, d'être en paix avec elle-même, avant de pouvoir retourner sur les lieux de son trépas. Elle avait donc partagé une chambre exigüe avec d'autres domestiques comme elle, bien que le mot chambre ne correspondait pas à cet amas de paillasses à même le sol et de couvertures infestées de mites. Cependant, cela avait suffi à la jeune femme. Elle s'était tuée à la tâche, abrutissant son esprit et tiraillant son corps. Tout pour ne pas en revenir à ses pensées lancinantes. A force de volonté, elle avait réussi à se sentir mieux un peu plus chaque jour. Si elle éprouvait toujours de la tristesse, la douleur de la disparition de Grand'ma Nora avait cessé de lui brûler la poitrine.

Ses tâches l'avaient également tenue éloignée du Seigneur William et de son étrange bienveillance qui l'avait un peu bouleversée, il fallait l'avouer. Océane ne s'était pas attendu à cela de sa part. Elle ne s'était d'ailleurs attendue à rien, il l'avait prise au dépourvu. Son intérêt sincère, loin de sa gouaille habituelle lui avait révélé une nouvelle facette de lui, qui lui semblait bien plus juste que ce masque l'homme vulgaire qu'il s'amusait à étayer le reste du temps. Mais peut-être se trompait-elle et interprétait-elle mal sa délicatesse envers elle.

Ce soir-là, elle l'attendait dans sa chambre. Il n'avait pas eu le temps de prendre un bain avant le repas et lui avait demandé d'en préparer un pour après. Il avait cette curieuse manie de se laver dans une baignoire chaque jour. Pas qu'elle n'apprécia pas son hygiène, bien au contraire, mais elle s'interrogeait sur l'utilité d'un bain par jour. Pourquoi une vasque d'eau ne suffirait pas à faire sa toilette quotidienne ? Certainement une excentricité de sa part, vu qu'il n'avait pas à se soucier de qui amènerait l'eau jusqu'à sa baignoire, elle en l'occurrence.

Quoiqu'il en fût, il entra dans ses appartements, visiblement guilleret et légèrement aviné. Suite à leur étrange proximité quelques jours plus tôt, il s'était montré réservé depuis. Mais ce soir-là, il semblait plutôt avoir envie de légèreté. Il s'arrêta à quelques pas d'elle, la fixant du regard et Océane haussa un sourcil, désabusée. Elle préférait fustiger cet homme qui la dévisageait ouvertement, plutôt que sentir le trouble qui naissait en elle.

William finit par détourner le regard et renifla l'air autour de lui.

- Qu'est-ce que ça sent ? demanda-t-il.

- Certainement les herbes que j'ai ajoutées à votre bain, expliqua Océane.

- Es-tu sorcière ? interrogea-t-il en tournant vivement la tête vers elle.

- Bien sûr que non ! s'exclama-t-elle en riant autant de sa question que de sa gestuelle quand il le lui avait demandé.

- Dommage, fit-il pour lui-même.

Puis, comme s'il avait repris le fil de ses pensées, il s'adressa à nouveau à elle.

- Tu vas m'aider à me déshabiller, ensorcelante créature. Il semblerait que j'ai abusé de la boisson et que je ne puisse le faire tout seul.

- Pourquoi faut-il que vous buviez autant ? fit-elle en haussant les yeux au ciel, sachant pertinemment qu'il arriverait très bien à quitter ses habits seul, mais s'exécutant quand même.

- Je ne peux pas déshonorer mon hôte ! affirma-t-il sur un ton trop théâtral pour paraître sincèrement offensé.

- Bien sûr ! Tournez-vous à présent. Et ne comptez pas sur moi pour enlever votre pantalon !

William se mit à rire. Un rire doux et sincèrement amusé, pas un rire d'ivrogne concupiscent qu'elle pouvait reconnaitre entre mille. Alors qu'elle s'activait à ranger les affaires du jeune Seigneur, elle entendit le bruit d'un vêtement qui choit au sol et son maître qui pénétrait dans l'eau.

- C'est bon, je ne risque plus de choquer ta pudibonderie, la taquina-t-il une fois bien installé.

- Ne mélangez pas pudibonderie et discrétion, affirma-t-elle.

- Tu dis cela parce que tu ne me connais pas, susurra-t-il.

Océane dut s'empêcher de rire à sa remarque. Heureusement qu'elle était de dos, il ne pouvait pas la voir sourire.

- Je crois que je n'arriverai pas à me frotter le dos seul, viens m'aider, j'ai besoin d'aide.

- Hors de question, affirma Océane.

- Ce n'est pas une demande.

La jeune femme soupira, grommelant. William s'abstint de toute réflexion, mais il lui tendit l'éponge avec son air victorieux. Océane s'en saisit et lui frotta vigoureusement le dos après s'être accroupie derrière lui.

- Délicatement, s'il-te-plaît.

- Et puis quoi encore ?

- Je préfère te voir ainsi que te morfondant comme ces derniers jours, remarqua-t-il innocemment.

Surprise, Océane arrêta ses mouvements un instant avant de demander, hésitante.

- Ne me dîtes pas que vous l'avez fait exprès...

- Non, affirma-t-il. J'avais très envie que tu me frottes le dos.

La jeune femme ne put s'empêcher de lâcher un petit rire avant de rependre plus délicatement. Elle remarqua que les muscles de ses épaules étaient contractés. Grâce à Grand'ma, elle savait que l'angoisse d'une personne se révélait dans les tensions de son corps. Quoiqu'il voulait faire croire, son maître n'était pas aussi détendu qu'il le prétendait. Elle aperçut une cicatrice qui parcourait son épaule gauche et elle en avait déjà vu une autre sur son torse, à droite cette fois. Il s'agissait d'estafilades, certainement causées par une arme, une lame en tout cas.

- Comment vous êtes-vous fait cela ? demanda-t-elle impulsivement en touchant celle du dos.

- Rien que des égratignures, fit-il en se tendant un peu plus sous le contact de ses doigts.

Océane allait lui rétorquer qu'elle n'en croyait pas un mot, prise d'un élan soudain. Mais la porte de l'appartement claqua contre le mur de pierre, coupant sa répartie. Elle et William se tournèrent brusquement vers l'entrée. Juste le temps pour eux de voir débarquer deux hommes vêtus de noir des pieds à la tête et le visage masqué. Ils avaient chacun une épée à la main et des poignards accrochés à la taille.

Elle n'eut pas le temps de réagir que déjà, un homme se trouvait sur elle, la saisissant par les cheveux pour l'attirer à l'écart. Océane essaya de se débattre mais son assaillant affermit sa prise et le saisit par le cou pour l'empêcher de bouger un peu plus.

- Relâche-la, fit la voix de William à l'arrière. Sinon je te tue.

- Et avec quoi ? répliqua l'homme en riant, se tournant vers lui et détaillant sa nudité du regard.

William s'avança, menaçant malgré son absence de vêtements. Mais le second l'attrapa par le bras et lui flanqua un coup de poing dans l'estomac. Le maître d'Océane lâcha un râle de douleur et l'homme qui le tenait encore s'en amusa.

- Tu sais quoi ? fit-il à William. Je vais te tuer et après, je m'occuperai d'elle.

Il gifla la jeune femme d'une main ferme et la jeta avant de s'approcher du Seigneur William. Elle resta à terre un long moment, à tenter de reprendre ses esprits. Le coup l'avait sonnée, la tête lui tournait encore lorsqu'elle se redressa.

William était en prise avec les deux assassins essayant d'échapper aux lames aiguisées de leurs épées. Une estafilade de sang coulait le long de sa cuisse encore humide, rendant la blessure encore plus sanguinolente qu'elle ne l'était réellement. Tout à lui, les deux hommes ne faisaient plus attention à Océane. Elle aurait pu partir, s'enfuir loin, prévenir la garde et se mettre à l'abri. Son maître serait certainement mort d'ici-là, mais elle aurait la vie sauve.

Pouvait-elle faire une telle chose ? Et tandis qu'elle voyait le Seigneur William se faire battre sous ses yeux, elle sut que non. Elle ne pouvait pas abandonner un homme lâchement.


La légende des deux royaumes [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant