Chapitre 7 - Partie 1

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La petite maison de Géron baignait dans la lumière en cette froide matinée. Océane remuait les branches qu'elle venait de mettre dans la cuisinière. Elle avait suspendu une casserole et s'apprêtait à faire dorer du lard que Mina leur avait apporté la veille au soir. Son amie la surprenait de plus en plus, la jeune femme autrefois naïve laissait place à une Mina déterminée et forte. Jamais auparavant elle ne l'aurait vu voler, ne serait-ce qu'une feuille de salade, et depuis une quinzaine de jours, elle leur ramenait de la nourriture tous les soirs. Elle soupçonnait son frère d'y être pour quelque chose dans ce nouveau comportement. Elle ne put s'empêcher de sourire à cette pensée. Pour Géron aussi cela avait été une révélation. Et voilà que pour la première fois de sa vie il s'inquiétait véritablement pour quelqu'un.

— Est-ce le froid qui te met de si bonne humeur, bougonna William en essayant de se redresser.

— Faites attention, déclara Océane en le pointant avec la cuillère qui lui servait à remuer le lard. Vos côtes sont encore fragiles, allez-y doucement.

— Voilà seize jours que je passe le plus clair de mon temps allongé. Je vais devenir fou si ça continue.

— Si vous voulez rester seize jours de plus alité, je vous en prie, levez-vous et dansez. Sinon, d'ici deux ou trois jours vous serez sur pied.

Sur ces entrefaites, Géron sortit de sa chambre torse-nu, un simple pantalon de toile serré à la taille, les cheveux en batailles et le regard encore vaseux. Il se gratta la tête, ébouriffant un peu plus ses cheveux, avant de s'assoir devant la table et de déclarer à William.

— Vous devriez faire ce qu'elle dit, elle est autoritaire vous savez et je ne réponds de rien si vous la contrariez.

— Imbécile, fit Océane en riant avant de lui jeter un torchon sur la tête.

— Vous voyez ce que je veux dire, s'exclama Géron. Je suis un homme brimé, si vous ne voulez pas finir comme moi... Faites ce que je vous dis, écoutez-la.

Océane s'approcha de son frère et lui donna une tape sur l'épaule avant de l'embrasser sur la joue.

Géron et elle se ressemblaient beaucoup, les mêmes traits dans le visage, le nez droit et fin, les yeux noisette pailletés de vert amande et la même blondeur qu'elle avait autrefois. Il la dépassait toutefois d'une tête et malgré sa taille svelte, il avait de solides épaules.

— C'est vrai que tu as l'air malheureux, fit William en plaisantant, avant de s'assoir à côté de lui. Mais si ça finit toujours ainsi, je ne vais peut-être pas écouter ce qu'elle dit, continua-t-il plus doucement.

— Je vous ai entendu, menaça Océane en se retournant vers eux.

Ils se donnèrent une tape dans la main, calleuse d'avoir trop travaillé pour Géron et douce de n'avoir pas connu la terre pour William. Elle leva les yeux au ciel. Les deux hommes s'entendaient comme larrons en foire. Une étrange complicité était née entre le Seigneur William et son frère. Ils avaient presque le même âge et ils partageaient également une certaine insouciante légèreté qui, si on ne les connaissait pas, pouvait passer pour de l'indifférence aux drames qui les marquaient alors qu'il s'agissait simplement de leur manière de se décontracter face aux fardeaux qui ployaient leur dos. Ils se comprenaient.

Océane découvrait chaque jour une nouvelle facette de son maitre. Il semblait plus calme, plus détendu et plus ouvert. Comme si enfin, il acceptait de se reposer sur elle, sur son frère. Comme s'il acceptait de s'ouvrir, de leur faire confiance. Mais elle le voyait également soucieux quand son regard traversait la fenêtre et affrontait la réalité. Il savait qu'ils ne pourraient rester cachés bien plus longtemps et que bientôt, ils devraient partir. Le répit avait assez duré.

La veille, durant la journée, les maisons du village avaient été fouillées. Celle de Géron n'y avait pas échappé. William et Océane avait échappé de peu de se faire capturer. Ils avaient à peine eu le temps de se cacher sous une trappe sous le lit de Géron et avaient attendus recroquevillés l'un sur l'autre de longues minutes, priant les étoiles pour ne pas se faire attraper.

— J'ai froid, s'exclama Géron. Océ, tu ne voudrais pas remettre un peu de bois dans la cheminée ?

La jeune femme qui déposait la poêle avec le lard sur la table le regarda les yeux ronds.

— Mon chéri, commença-t-elle le plus calmement possible. Si tu as froid, enfile quelque chose, au lieu de gonfler tes muscles en espérant que cette chère Mina vienne. Sinon je te propose de lever ton postérieur de fainéant et de le faire toi-même ou alors je peux toujours te mettre une ou deux tranches de lard sur le corps pour te réchauffer, à toi de voir.

William riait le plus discrètement possible, mais c'était peine perdue, il se tenait les côtes pour avoir le moins mal possible, et ressemblait à un bossu pris de hoquet. Quant à Géron, il bougonna quelque chose d'incompréhensible avant de se lever et de mettre une tunique. Océane sourit tout en servant à chacun deux tranches de viande. William la remercia et lui adressa un clin d'œil complice qui lui fit augmenter un peu plus son sourire.

Géron revint et s'assit à sa place avant de commencer à manger en silence.

— Allez, déclara Océane en se mettant à côté de lui. Ne boude pas ! Je plaisantais.

— Je sais bien, répondit son frère. Mais je pensais à ce que Mina nous avait révélé hier soir. Les gardes sont revenus bredouilles et ils commencent à fouiller les environs. Il ne se passera pas beaucoup de temps avant qu'ils ne fouillent les maisons et ils commenceront par celle des parents, puis celle d'Allan et la mienne, expliqua-t-il.

— J'y songeais aussi, enchaîna William. Je vais devoir partir.

Nous devons partir, le corrigea-t-elle. Je viens avec vous. D'autant plus que vous êtes encore en rétablissement. Devons-nous vraiment nous en aller aujourd'hui ? questionna-t-elle William.

Ce dernier acquiesça d'un signe de tête. Océane resta silencieuse plusieurs secondes, son frère la regardait, inquiet. Elle savait qu'il était temps pour eux de fuir, mais elle ne pouvait s'empêcher de trouver cela trop tôt. Elle voulait encore profiter des moments qu'ils vivaient tous les trois, de cette parenthèse dans leur vie. Elle savait qu'en partant, elle ne pourrait plus jamais faire machine arrière, que plus rien ne serait pareil et elle ne pouvait s'empêcher d'être terrorisée à cette idée.

— Quittez votre tunique, céda-t-elle.

— Je te demande pardon, demanda William.

— Je dois voir si votre blessure est guérie et supportera le voyage que nous nous apprêtons à faire.

Océane s'était approchée de son maitre et avait retiré ses bandages, pendant qu'il parlait. Elle tâta les côtes, et William ne sembla réagir que pour l'une d'entre elles. Il fit une légère grimace avant de se reprendre.

— Ça pourra aller si vous faites très attention, si vous me dites quand vous avez mal, et si nous faisons des pauses régulièrement. Est-ce clair ?

— Très, oui, répondit-il le sourire aux lèvres et en la regardant intensément. Crois-tu que je pourrais tenir sur un cheval ?

— S'il ne part pas au galop, je pense que oui, approuva la jeune femme. Mais vous n'avez pas de cheval...

— Mais Mordrais en a pleins ses écuries et je compte bien m'y servir. Nous irons plus vite et si nous sommes poursuivis, nous pourrons ainsi échapper à nos poursuivants, expliqua William.

— Vous voulez retourner au château ? C'est de la folie ! s'exclama Géron.

— Mais il a raison, approuva Océane après un temps de réflexion. Et je pourrai récupérer de la nourriture pour le voyage.

— Laissez-moi vous aider dans ce cas.

— Il en est hors de question. Tu es déjà sous surveillance, rien que par le fait que tu es mon frère, je ne veux pas que tu t'impliques plus dans cette histoire. Un traitre dans cette famille est amplement suffisant.

Géron parut comprendre ce que sa sœur voulait lui dire et il ne put approuver qu'à contre cœur.

—Faites attention à vous, alors.

La légende des deux royaumes [TERMINÉ]Where stories live. Discover now