Chapitre 18

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Allongé sur la couche de Meij, Erid se trouvait dans un état plus que catastrophique. La cabine la plus grande du navire contenait six personnes et menaçait d'exploser. Solal, le Soigneur s'affairait autour du blessé pour voir ce qu'il aurait à traiter en premier. Non loin de lui se tenait Elio, attendant avec inquiétude son verdict. Arhys faisait un compte rendu à Meij, tous deux légèrement à l'écart, et lançait de fréquents regards en direction de l'homme alité et surtout de sa sœur.

Alhyx, et c'était une grande première, fixait intensément Erid, assise dans le fauteuil de son frère. Comme si, en ne le lâchant pas des yeux, elle s'assurait qu'il ne lui arrive rien. Comme si, en ne rompant pas le contact, Erid survivrait. Elio ignorait la raison de cet élan d'humanité et pourquoi il s'était cristallisé en son ami. Meij et Arhys semblaient également inquiets, car si le blessé venait à mourir, la jeune femme le prendrait très mal et s'enfoncerait un peu plus dans son autarcie.

Pour elle, une telle question ne se posait pas. Il vivrait. Alhyx ne supportait pas que quelque chose échappe à son contrôle ou à sa volonté et la mort était l'essence même de ce qui l'effrayait.

Elle était hors de contrôle. Chaque décès avait enfermé un peu plus la jeune femme dans sa colère. Erid venait de pénétrer avec force dans son cercle restreint. L'effet avait été immédiat lorsqu'elle l'avait vu sur cette table de torture, si près du trépas et s'accrochant pourtant désespérément à la vie. Ce n'était pas parce qu'il s'agissait de lui en particulier, mais plutôt son essence, sa souffrance dont il portait physiquement les stigmates qu'elle-même enfouissait dans son âme depuis si longtemps.

Elle était aussi ravagée intérieurement que lui extérieurement. Elle s'était retrouvée mise à nue face à cet homme blessé, comme face à un miroir. Le sauver, lui, revenait à s'empêcher, elle, de sombrer dans la folie. En cet instant, leurs sorts étaient intimement liés.

Solal, le soigneur, un homme d'une quarantaine d'années à la chevelure complètement grise, longue et nattée qui lui retombait sous les omoplates, avait le visage buriné par le soleil et des rides prononcées aux coins de ses yeux lorsqu'il se concentrait. Elio avait reconnu en lui l'homme que Meij avait consulté lorsqu'il lui avait fait son plaidoyer pour ne pas qu'il parte.

En plus d'être le soigneur du roi, il devait être un personnage proche de lui. Il avait les mêmes iris presque translucides que Meij et les jumeaux et Elio ne put s'empêcher de se demander s'il faisait également partie de leur famille. Le reste de ses traits ne leur ressemblait pas. Il avait un visage dur que sa barbe atténuait.

On sentait qu'il était efficace et talentueux, qu'il faisait tout pour que ses patients survivent et que lorsqu'il devait prendre des décisions difficiles, il le faisait rapidement et sans regret.

Il se tourna enfin vers Meij, le regard fermé, mais sûr.

— Il a de la chance d'être encore en vie. Il a une volonté d'acier, je dois bien lui reconnaître ça. Mais dans quel état... Son genou gauche est irrécupérable, la gangrène a commencé son œuvre. Rien n'est gagné, je préfère vous l'annoncer. Je vais devoir l'amputer.

— NON ! s'exclamèrent en même temps Elio et Alhyx.

Le jeune homme s'avança vers le soigneur, comme pour le convaincre de l'empêcher d'agir. Alhyx, elle, même si elle ne se leva pas de son siège, se redressa comme pour donner du corps à sa négation.

— Vous ne toucherez pas à sa jambe, menaça Alhyx.

— Ecoute... commença Arhys en s'approchant d'elle.

— Non. Tu ne me feras pas changer d'avis. Sa jambe restera sur son corps.

Elle était debout, face à son frère qui la dépassait d'une tête et qui semblait deux fois plus large qu'elle. Pourtant elle ne recula pas d'un pouce dans sa conviction, au contraire. Elle savait pourtant que face à la gangrène, il n'y avait pas d'autre solution, mais sa réaction était primaire, instinctive.

La légende des deux royaumes [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant