Les Conquérants du Cercle T3 - L'Ordre du Soleil

Chapitre 24

La Sphénie est relativement calme à l'aube. Il n'y a qu'un vieux chat de gouttière qui me regarde de son oeil unique en mâchouillant un os de poisson. Ce quartier est animé la nuit lorsque la lune Torelle éclaire les rues étroites et les pavés irréguliers. J'aime cette ambiance particulière. Titan se lève doucement, mais la lune est encore là. Comme s'ils se battaient pour être maître du ciel. Une journée fait place à une autre.

Je suis assise sur le ponton qui se situe juste en face du bar de Jo. Le bois y est mouillé par les vagues lors des grandes tempêtes. Les hautes bottes que je porte aux pieds sont humides. La mer est basse. A ma gauche, se trouve un minuscule port de pêche. Je distingue la silhouette courbée de certains pêcheurs qui reviennent tout juste de la mer et qui nettoient leur filet.

La tenue des Marins est assez confortable et chaude pour l'air iodé et frais du matin. Elle est composée d'une longue chemise rentrée dans un pantalon en coton noir assez large, lui-même rentré dans les bottes.

Plus loin sur la droite, j'entends l'eau couler en abondance de ce qui semble être les Chutes de sel. Une brume légère entoure les environs et donne un caractère mystérieux à l'endroit. J'entends des pas derrière moi et finalement, deux bottes apparaissent à ma droite. Nathaniel s'assoit à mes côtés.

— Dommage que le brouillard cache le paysage, autrement la vue est magnifique !

— Qu'y a-t-il à l'horizon ? je lui demande avec ma voix encore endormie.

— On peut y observer les plus beaux lever de Titan.

J'essaye d'imaginer la scène, mais je n'y arrive pas. L'inquiétude me ronge encore de l'intérieur. J'ai décidé que je ne parlerais pas de ma discussion avec Ardalôn aux autres. Je ne veux pas leur offrir un espoir incertain. Je décide de changer de sujet.

— Tu n'as pas l'air d'avoir bien dormi, je déclare en observant Nathaniel.

Ses traits sont creusés et ses cernes sont plus marqués.

— C'est parce que je suis resté éveillé toute la nuit. La vie d'un Marin est nocturne. Je dors quand je suis au palais.

— Tu ne t'occupes pas des négociations avec Daerôn ?

— Oh non ! C'est bien trop ennuyeux, dit-il en s'étirant. Mais ce n'est pas pour discuter politique que je t'ai demandé de me rejoindre ici. Suis-moi.

Il se lève rapidement et m'offre sa main pour m'aider à me relever. Puis il me lâche et se dirige vers la droite vers les Chutes de Sel. Je le suis en silence en observant ce qui m'entoure. Les bâtiments gris donnent une atmosphère un peu morne et triste au quartier. Certains lampadaires n'éclairent plus les rues et d'autres grésillent. J'ai presque l'impression d'avancer dans une mer de nuages où chaque lumière représente un navire qui va amarrer.

Nathaniel se retourne et m'observe. Il écarte les bras de façon théâtrale.

— C'est étrange, mais c'est dans ce quartier que je me sens le plus chez moi.

Je lui souris. J'ai toujours été intrigué par Nathaniel. Il a l'allure d'un prince charmant dans un costume de bal et pourtant, il a l'attitude d'un bandit qui se fiche de tout.

— Tu m'as dit un jour que tu quittais Camorr très souvent. Je comprends maintenant.

— Loin des règles, des lois et de tous les protocoles ridicules que je suis obligé de suivre, ajoute-t-il avec un clin d'oeil.

— Tu veux toujours aller au-delà des limites qui te sont imposés, pas vrai ? je souris.

Il reprend sa marche et je me glisse à ses côtés, attendant sa réponse.