Les Conquérants du Cercle T3 - L'Ordre du Soleil

Chapitre 28

Je n'ai pas dit un mot depuis notre retour. Ce que j'ai vu cette nuit, m'a troublé. Le peuple marin a oublié ses origines. Je me sens presque illégitime d'avoir eu l'honneur de voir la Cité abandonnée. Il y a des Marins qui rêverait de voir ce monde caché et moi, qui ne suis même pas de leur nation, j'ai eu cette chance.

Je comprends les sentiments de Nathaniel et je ne laisserais pas cette opportunité d'avoir découvert ce secret sans agir. Je veux aussi me battre pour qu'ils sachent enfin la vérité. Ils méritent de savoir.

Parce que c'est seulement en connaissant notre passé qu'on peut se construire un avenir.

Une pensée s'insinue dans mon esprit tourmenté. Daerôn... Il a dû ressentir la même chose lorsqu'il a appris pour ma planète. L'oubli est douloureux, mais les souvenirs le sont-ils tout autant ?

A notre retour, Daerôn et Nathaniel se sont enfermés dans une des pièces du bar. Puis Jo m'a demandé si je voulais l'accompagner vers le port pour voir la fête. Sajjad et elle doivent y jouer quelques musiques dans les rues. Pendant qu'elle se prépare, elle me charge de trouver Sajjad. Elle ne l'a pas vu depuis la nuit dernière.

Je sors du bâtiment, alors que Titan s'élève doucement dans le ciel. La brise iodée et fraîche me revigore. Je marche vers la crique. Où peut-il bien être ?

Ne le trouvant pas, je monte jusqu'aux Chutes de Sel. Il n'y a personne dans le quartier. Tous les habitants se sont déjà rendus au Port.

Une grande silhouette se tient sur un promontoire en pierre, juste au-dessus des cascades. Je reconnais Sajjad à ses cheveux bouclés, sa posture droite et hautaine. Son foulard rouge flotte autour de sa taille. Je le rejoins rapidement en silence. Alors que je l'observe, je remarque qu'il a les yeux encore fermés. Que fait-il ?

La vue est magnifique. Titan sort de l'horizon et colore le ciel d'une douce couleur rosée. Les nuages blancs autour de lui ressemblent à un voile qu'on lève délicatement pour voir le visage de sa bien-aimée. Les vagues déferlent en bas des cataractes. Leur bruit remplit l'air d'une brume de gouttelettes.

Sajjad ouvre ses yeux et soupire.

— Il y a tout un monde qui m'est caché et que je ne peux pas explorer. Je ne suis pas comme Nath, ni comme Jo. Je ne suis pas Pur.

— Je sais, dis-je simplement ne voulant pas stopper ses confessions.

Je me sens déjà assez coupable d'avoir eu cet honneur.

— A quoi cela ressemblait ? me demande-t-il tandis quil se tourne vers moi.

Ses yeux sont humides. Une vague d'empathie se répand en moi. Il y a une partie de sa maison qui lui est interdite.

— Tu pourrais le voir par toi-même.

Il me prend brusquement le bras pour que nos deux visages soient en face l'un de l'autre.

— Arrête. Ne me dis pas que c'est possible alors que je ne peux pas.

Sa frustration et son amertume me transpercent. Si ses yeux étaient des revolvers, je serais déjà morte. Je me dégage de sa poigne.

— Ce que j'ai vu, tu mérites de le voir, Sajjad. Personne ne devrait en être privé. Je peux créer des bulles d'air pour respirer sous l'eau. Je peux en créer pour toi aussi. Je le ferais. Même si je dois mourir pour cela.

Il me lance un rictus moqueur.

— Ne faites, pas de promesse que vous ne tiendrez pas, Princesse.

Il me regarde d'un air mauvais et se détourne. Alors qu'il est déjà à quelques mètres de moi, je le rattrape et lui bloque le passage.

— Tu n'as rien à prouver, Sajjad. Que tu sois Pur ou Impur, tu as le droit de le voir de tes propres yeux, je déclare alors que son regard triste parcourt mon visage.