Chapitre 25

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Mon apprentissage hebdomadaire est rythmé par les visites de Jo et de Sajjad. Ils n'ont pas la même façon de m'encourager. L'une est très enthousiaste et l'autre ne fait que grogner.

Daerôn est venu nous rendre visite au bar, un soir où le brouillard avait élu domicile dans le ciel clair de Camorr. Il n'a pas été très bavard. Il s'est surtout entretenu avec Nathaniel pendant que j'aidais Jo à servir les pirates qui constituent la clientèle du Retors.

Je me rends compte que j'aime de plus en plus cet endroit. Les chansons des malfrats sont en fait un moyen de communiquer assez plaisant. Jo m'enseigne beaucoup de choses sur la Confrérie tout en aboyant des ordres aux cuisines. Sajjad m'observe de loin pour me surveiller ou pour veiller sur moi, je l'ignore encore, mais je me dis que si Jo et Nathaniel lui ont accordé leur confiance, c'est qu'il est digne de la mienne.

Les jours commencent à passer et à se ressembler. Cette routine me plaît et me repose.

Je suis en train de nettoyer une table lorsqu'on me donne une légère tape derrière la tête.

— A quoi pensez-vous comme ça ? On dirait un poisson hors de l'eau, se moque Sajjad.

— Je t'ai déjà dit que tu pouvais me tutoyer, dis-je en réponse.

— Je ne tutoie que ceux à qui j'accorde ma confiance.

Je lève les yeux au ciel. Dans le cas de Sajjad, se faire vouvoyer n'est pas un signe de respect, mais plutôt une insulte. J'ignore comment obtenir cette confiance qu'il ne cesse d'arborer devant moi comme pour me narguer. Il est si méfiant. Je le détaille quelques instants afin de réfléchir à une réponse qui l'agacera. Mais la curiosité l'emporte sur mon intention.

Il porte un pantalon beige, cintré d'un foulard rouge. Une chemise blanche déboutonnée qui lui donne un aspect négligé et de hautes bottes. C'est typiquement le genre de vêtements dont les pirates sont revêtus lorsqu'ils franchissent la porte du bar. Nathaniel porte le même genre d'uniforme, mais n'a pas le même foulard.

— Est-ce qu'il y a un problème ? reprend-il avec un rictus.

— Non, rien. Je me demandais juste pourquoi ton foulard est rouge alors que la plupart des pirates en porte un blanc.

Il me lance à nouveau un regard narquois et reprend sa tâche. Je me concentre à nouveau sur la mienne pensant qu'il n'ajoutera rien à cette conversation, mais il reprend :

— Tu comprendras vite.

Puis, il se lève en lançant le torchon dont il s'est servi pour essuyer les autres tables, sur son épaule. Je n'ai même pas remarqué qu'il m'avait aidé à nettoyer. Je fronce les sourcils. Sajjad est un jeune homme intrigant.

*

Parfois, je me demande si je ne suis pas dans un rêve. Lorsque je repense à ma vie, un an en arrière, tant de choses ont changé que je me demande si tout ce que j'ai vécu est vrai. Tout est passé vite et si lentement à la fois. Si on m'avait dit que je travaillerais dans un bar douteux de Namus et que le prince lui-même m'apprendrait à nager, j'aurai explosé de rire face à mon interlocuteur. Et pourtant, lorsque je relève les yeux et que je repense aux rires de Jo et Nath, aux chants marins des pirates, à l'odeur iodée de la mer et le sable dans mes chaussures, je ne peux que réaliser ce qui m'arrive.

Un son étrange vient perturber mes pensées. Je relève vivement la tête et observe les cuisines. Je tends l'oreille. On dirait que le vent hurle de joie.

— Elwing ! Viens ! C'est incroyable ! crie Jo tandis quelle descend les escaliers qui mène au salon du bar.

— Que se passe-t-il ? je demande en terminant la vaisselle.

Les Conquérants du Cercle T3 -  L'Ordre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant