Chapitre 32

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J'avance vers le petit port en face du bar. Alors que je marche dans la nuit, je me rends compte que Sajjad et Jo s'y rendent souvent lorsqu'ils ont besoin de réfléchir.

Les lampadaires éclairent très faiblement les rues autour de moi. Une silhouette se dessine à la lueur de Torelle, la lune de Namus. Je m'approche encore plus près jusqu'à me trouver juste derrière elle. Et alors qu'elle se tourne vers moi, je m'effondre en pleurant, une main sur la bouche pour m'empêcher de crier.

Alors que je relève le visage vers elle, Jo me sourit tristement. Elle remet mes cheveux derrière mon oreille d'un geste amical et m'invite à m'asseoir à ses côtés.

— Jo...

Ma voix est à peine audible tellement, ma gorge est serrée par l'émotion.

— Dans la nuit claire de Camorr, cachée aux yeux de tous dans un bar miteux remplis de pirates en quête d'un trésor, j'apprécie toujours cette brise fraîche au milieu du tumulte, de la fièvre ambiante. Ce soupçon de froid m'apaise. Je me sens calme, assise sur ce ponton, les pieds dans le vide à écouter l'écho des vagues. Quand Torelle apparaît pleine, comme ce soir, je ferme les yeux et j'imagine ma vie sur Eris. Je m'imagine danser au bras d'un aristocrate lors d'un bal donné en ton honneur. Je me vois jouer dans les jardins avec les autres, à rire d'une manière insouciante. Comme lorsque nous avons été attaqués...

— Je suis désolée... Je vous ai abandonnés...

Elle ne relève pas, mais me prend la main.

— Ou bien, j'imagine des voyages au-delà de cette frontière qui m'étouffe et me protège, libre d'aller où je veux. Je rêve de ces moments où je peux laisser libre cours à mon énergie sans me cacher au fond d'un océan infini ou dans un ciel rempli d'étoiles. C'est ce qui m'aide à tenir... ce qui m'a fait patienter jusqu'à ce que tu viennes.

Des larmes coulent de ses yeux et je la prends dans mes bras.

— J'ai trouvé ton message Jo. Je t'ai trouvé, dis-je, la tête enfoncée dans son épaule.

— Je l'ai écrit quand j'avais 10 ans. C'est aussi à cet âge que nous avons commencé à vagabonder dans les différents quartiers de Camorr avec Sajjad. J'ai découvert le puis à souhait de l'Azurie, mais comme je n'avais pas d'argent, j'y jetais des jetons du bar. Et je priais. Je priais pour que tu ne sois pas qu'une légende dans ma tête. Je priais pour que mes rêves de liberté se réalisent. C'était tellement dur de ne rien dire à Sajjad, ni à personne. Je me sentais si seule. Je n'avais que les souhaits pour me tenir compagnie.

Les larmes coulent à flots. Mes joues et mon cou sont trempés. Même le vent ne parvient pas à faire sécher nos pleurs.

— Ils se réaliseront, Jo. Je te le promets, je déclare en relevant la tête. Tu pourras faire tout ce que tu veux. Pas sur Eris, mais dans un endroit magnifique. Je t'emmènerais voir les coucher de soleil du Comté des Sables, je te trouverais une luge sur laquelle tu pourras glisser dans les montagnes, je marcherai à tes côtés dans les rues bondés du Comté des Plaines. On ira voir le monde. Et on sera les seules à savoir ce que tous ces gens ignorent.

— Tu es avec l'Ordre n'est-ce pas ? remarque-t-elle, un sourire aux lèvres.

— Oui. C'est Daerôn qui a découvert qui j'étais et il m'a protégé jusqu'à ce que mes souvenirs me soient rendu.

— Que vas-tu faire ? Te venger d'Aegnor ? demande-t-elle avec colère.

C'est certainement ce qu'elle voudrait que je fasse. Je peux comprendre ses sentiments. Aegnor a effacé son monde et il a aussi effacé le mien. Mais moi, je n'en étais pas consciente. Je ne suis pas aussi amère que mes semblables peuvent l'être. Seulement, je suis en colère par ce que ce Roi cruel a fait subir aux miens. Il nous a enlevé notre maison, nos familles, nos amis...

Les Conquérants du Cercle T3 -  L'Ordre du SoleilWhere stories live. Discover now