Les Techs - Tome 2 : la Quatrième Guerre Mondiale

Partie 78 : le miracle

Edwige Indiana :

Edwige et son père roulent en silence vers Nava. Ils sont les seuls à se diriger vers la ville. En face, un flot régulier de retardataires quittent les lieux au plus vite.

La jeune fille guette la connexion pour pouvoir contacter les autres membres du culte. Elle attend aussi des questions, ne sachant pas exactement ce qu'elle est prête ou non à raconter. Mais rien ne vient. En dehors des considérations très matérielles, son père ne lui demande rien. Elle préfère voir ça comme un vote de confiance. Après tout, elle sait ce qu'elle fait, dans les grandes lignes. Non, elle ne sait pas exactement ce qu'elle fait, mais elle sait pourquoi elle le fait. La Voix compte sur elle et c'est aussi exaltant qu'effrayant. Et Mok a besoin d'elle, même si lui-même ne le sait pas. En tout cas, il a besoin de quelqu'un qui veuille son bien, et les candidats n'ont pas l'air de se bousculer.

Elle ne lui a même pas demandé s'il avait des parents à rejoindre ou quelqu'un qui le cherchait. Il ne s'est inquiété que pour 5, la petite Tech, mais était-ce parce qu'il n'avait personne d'autre dans sa vie, ou parce qu'il savait très bien qu'il ne pouvait pas retrouver les autres ? Le reste de sa famille doit aussi se trouver dans le Ghetto, non ? Donc dans les camps de réfugiés qui ont été ouverts à l'annonce de la fin des Ghettos. Edwige ne s'est pas vraiment renseignée sur eux et sur leurs fonctionnements, mais peut-être que c'est là que Mok est allé, pour retrouver ses proches. Ce serait logique. Elle regrette de ne pas lui avoir posé plus de questions. Il répondait peu, mais si au moins elle avait tenté, il aurait su qu'elle s'en souciait, et peut-être qu'il lui aurait parlé de ses projets plutôt que de s'enfuir dans la nuit. Elle doit rattraper cette erreur.

Ils retrouvent le Réseau et les informations en même temps. La radio n'avait pas été éteinte. Et le message tourne en boucle.

Les bombes sudiennes sont tombées.

Frank Indiana ne fait pas de commentaire. Il se contente d'arrêter la voiture sur le bas-côté, le temps d'écouter exactement de quoi il retourne. Pendant ce temps, Edwige recherche frénétiquement plus de détails sur son téléphone, jusqu'à être interrompue par un appel de Margaret :

"Edwige ! Est-ce que tu vas bien ?

— Oui, je vais bien, j'étais hors Réseau, dans les bois... Et toi ? Et vous ? Tout le monde va bien ?

— Tous ceux que j'ai réussi à joindre vont bien, louée soit la Voix. Nous avons reçu sa demande à nouveau, Edwige. Elle nous a donné une piste pour retrouver Mok, l'enfant des Techs. Et Elle a toujours besoin de notre aide pour aider 5. Peux-tu nous aider ? D'après leurs déclarations, l'Hydre laisse 24 heures à l'AGN pour annuler ce fichu traité, on peut y arriver si on agit vite !

— Oui, justement, je revenais vers Nava pour... Mais il y a beaucoup de dégâts ? Est-ce qu'on peut... Comment est-ce que... À quoi ça ressemble en ville ?

Edwige ne parvient pas à dire "maintenant que Nava est une zone de guerre". Ce serait faire entrer ce fait dans la réalité, et elle n'y est absolument pas prête. Margaret semble le comprendre immédiatement - après tout, ses propres préoccupations sont exactement les mêmes.

— On peut circuler, il y a eu des dégâts sur les immeubles, mais le métro fonctionne encore, le Réseau et l'électricité aussi. Les voitures ont été interdites sauf pour évacuation et secours des civils, les militaires sont en train de contrôler la zone. Je ne sais pas s'il faut des cartes de citoyens, plus personne ne sait à quoi se fier en termes de loi, mais en cas de besoin tu as la tienne, non ?

— Oui, oui, j'ai la mienne, c'est avec elle que je t'appelle... Est-ce que vous avez des pistes ? Des véhicules ? Qui est avec nous ?

— Je suis encore en train d'appeler tout le monde. On est dispersés autour de Nava, entre une et trois heures de route. Je ne pense pas que tous les membres participent, ils s'inquiètent pour leurs familles, et certains sont... disons qu'ils ont des positions que je ne partage pas, et que la Voix ne devrait pas entendre dans ses prières, je pense. Donc on va sûrement se retrouver en petit comité. Mais on va essayer. On aura au moins une voiture, peut-être deux, et on peut se retrouver chez moi, il n'y a eu aucun dégât dans mon quartier.

— D'accord, j'arrive !

— Parfait. À tout de suite. Que la Voix veille sur toi.

— Heu... toi aussi."

Elles raccrochent. Edwige est toujours aussi mal à l'aise avec le côté mystique que Margaret accole à la Voix, mais au moins elles sont sur la même longueur d'onde sur l'essentiel : il faut aider la Voix, et l'empêcher de participer à cette horreur.

— Papa, je sais où je vais rejoindre les autres, c'est...

— Non. Tu n'as pas entendu les infos ? On ne va plus en ville, c'est hors de question. Je te ramène au gite avec nous.

— Mais tu étais d'accord pour...

— J'étais d'accord pour que tu continues ce que tu étais en train de créer avec cette créature. Mais là, c'est trop dangereux. Tout est détruit ! C'est une zone de guerre !

— Pas du tout, je viens d'avoir la... la chef du groupe dont je fais partie, et elle m'a dit que ça allait, même le métro fonctionne encore ! Et puis le Sud laisse 24 heures à l'AGN pour les négociations, on ne craint plus rien !

— Ils ont bombardé Nava et douze autres villes de l'AGN ! Tu n'es pas à l'abri même en restant à l'écart ! Remonte dans la voiture, on s'en va !

— Non ! J'irais en stop s'il le faut, ou à pied, ou... ou n'importe quoi, mais je ne pars pas ! Je vais à Nava et je vais aider les autres ! C'est probablement la chose la plus importante au monde à cet instant, et on est tellement peu nombreux, il faut que j'y aille !

— Comment est-ce que ce gamin peut avoir la moindre importance ?

— Tout le monde est important pour quelqu'un, et lui est important pour un alien. Et tant mieux ! À l'heure qu'il est, il doit y avoir des milliers de gamins du Ghetto qui sont dans des camps, ou dans les rues, et que personne n'a aidé à se mettre à l'abri, et qui sont peut-être morts, parce qu'ils ne comptaient pas assez et que c'était plus urgent d'avoir peur et de s'enfuir ! Mais ils auraient dû compter ! Tout le monde devrait compter !

— Mais on ne parle pas d'aller sauver des gens, il y a des secours pour ça, on parle d'aller fouiller partout au milieu d'une guerre ! Edwige, c'est trop dangereux ! Et si tu fais une crise, il n'y aura personne pour t'aider !

— Je n'aurais pas besoin d'aide. J'ai déjà réussi ! Et Mok me connait ! Il doit avoir peur et être perdu, il faut qu'il retrouve quelqu'un qu'il connaisse !

— Non, non, tu ne peux pas...

Ils s'interrompent en entendant un sifflement étrange - et bien qu'il ne ressemble en rien à tout ce que les fims ont pu leur présenter comme étant le sifflement des bombes, c'est bien sûr la première chose à laquelle ils pensent. Mais ce n'est pas ça. Ce n'est plus ça.

Au-dessus de Nava s'étirent des traits de lumière, comme un feu d'artifice visible en plein jour qui persisterait dans le ciel. Peu à peu les traits s'allongent et se rejoignent en une myriade de noeuds complexes, jusqu'à former un maillage de fin métal scintillant au soleil, le sommet d'un dôme dont les bases ne reposeraient pas sur le sol, mais à une centaine de mètres au-dessus des tours de Nava.

Au bout de quelques instants, Edwige murmure :

— Mais qu'est-ce que c'est ?

— Ce... ce doit être... une protection tech, quelque chose qui... c'est l'armée, ou... quelque chose comme ça...

— Ou ce sont les Techs. Ou l'Alien ! C'est peut-être...

— Retournons dans la voiture, la radio va nous dire... il doit y avoir des informations, oui, ils en parlent sûrement...

Avant d'obéir, Edwige prend plusieurs photos du phénomène. Les images se répandent déjà sur le Réseau, ainsi que les réactions hurlant au fake. Parmi ceux qui y croient, le soulagement se dispute avec la terreur. Est-ce une protection ou une nouvelle menace ? Personne ne le sait, donc tout le monde hurle.

La jeune fille est interrompue dans ses recherches lorsqu'elle reçoit un autre appel. Sur son écran, à la place du nom de l'appelant, s'affiche simplement le chiffre 3.