Partie 49 : anti-tech

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Mok :

Ils avancent assez facilement au début, les chemins souterrains sont vides et sûrs, et pour la première fois depuis son enlèvement Mok commence à se dire qu'après tout, peut-être que les choses vont bien se finir. Peut-être que cette fille peut l'amener en sûreté, un endroit où il pourrait rester sans avoir besoin de guetter le danger en permanence. Découvrir le monde extérieur avec les Techs s'est révélé exaltant et plein de merveilles, mais aussi épuisant, remplis de contraintes à deviner au fur et à mesure, d'interdictions et de risques plus ou moins maitrisés. Ça ne peut pas toujours être comme ça, non ? Les Techs sont spéciaux, ils ont des pouvoirs particuliers, mais les gens à l'extérieur ne peuvent pas vivre comme ça tout le temps. Ils deviendraient dingues. Quoique ça expliquerait des choses.

Par moment, Edwige lui parle, lui pose des questions auxquelles il préfère ne pas répondre, lui explique ce qu'elle fait et ce qu'elle compte faire par la suite, et assez souvent, semble réfléchir à haute voix. Drôle de sauveuse, qui hésite et qui cherche, ouvertement aussi perdue que lui. Elle est vraiment grosse et elle parle avec une voix douce, pleine de mots qui s'excusent de parler. Elle fatigue, il s'est bien rendu compte qu'elle respirait de plus en plus fort, et marchait de moins en moins vite. Elle a dû avoir une vie très douce jusqu'ici, pleine de bonnes choses, sans dangers, sans contraintes. Elle a raison quand elle dit que ce n'est pas elle qui aurait dû venir l'aider, elle ne sait pas se battre, elle n'a même pas la volonté de se battre. Elle est trop molle, trop faible. Mais elle est venue, elle connait ce monde, elle a l'air de vraiment tenir à cette Voix, et elle n'est pas embêtante. Elle fera l'affaire, jusqu'à ce que 5 reprenne ses esprits et se rende compte qu'il s'est sorti du piège tout seul. Le silence de la Tech est vraiment le point le plus inquiétant pour l'instant. Qu'est-ce qui lui est arrivé ?

Il est interrompu dans ses pensées par Edwige qui s'arrête. Devant eux, il n'y a plus de chemin émergé, juste de l'eau qui coure et se partage entre différents tunnels de différentes tailles.

"Il vaut peut-être mieux qu'on fasse demi-tour, dit la jeune femme, et qu'on tente un autre chemin. Mais j'ai peur qu'on se retrouve exactement face au même problème. C'est logique, plus on remonte le courant, plus les canalisations se divisent. Donc, ce qu'on pourrait faire, c'est... aller dans l'eau, remonter au maximum le courant, et sortir dès qu'on voit une sortie. Une fois à la surface, selon l'endroit, on avisera. Qu'est-ce que tu en dis ?

Mok regarde le liquide, dubitatif. Autant au début de leur marche ça sentait très fort les produits chimiques, autant plus ils avancent, plus l'odeur est clairement une odeur d'excréments, mélangée à beaucoup de choses qu'il ne connait pas, mais qui puent tout aussi atrocement. Mais ce n'est pas ça le problème.

— C'est profond combien ?

— Je ne sais pas...

Le fond n'est pas visible. Le courant n'est pas très fort, mais il est bien là. Edwige se retrousse une manche, s'allonge sur le sol et plonge le bras dedans, avant de conclure :

— C'est bon, on a largement pied tous les deux, ça devrait nous arriver aux genoux. Enfin, un peu plus haut pour toi, mais on pourra marcher. Tu ne sais pas nager ?

— Non.

— De toute façon, ce serait dangereux. Il peut y avoir des montées de niveau très rapides, il me semble, ou des moments où le courant accélère... Si ça arrive, accroche-toi à mon cou, je ferais de mon mieux pour nous porter tous les deux. Mais n'ait pas peur. Ça n'arrivera pas. Le pire qui va nous arriver, c'est de puer la mort en sortant, mais bon, ce n'est pas comme si on allait commander un taxi automatique ensuite, hein ?

Mok n'a pas assez de solution de rechange pour protester, il se contente d'accepter le plan d'un haussement d'épaules. Elle entre dans l'eau en premier, comme promis elle n'est immergée que jusqu'aux genoux, et elle l'aide à descendre à ses côtés. L'eau lui arrive à la mi-cuisse et marcher à contre-courant est pénible. À nouveau elle lui donne la main, cette fois il lui agrippe carrément le bras pour ne pas glisser sur le sol traitre. Ils avancent lentement.

Une éternité plus tard, alors que les tunnels se font de plus en plus petits, Edwige s'exclame :

" Là ! Une sortie !

Une petite plate-forme émerge des eaux, en dessous d'une échelle métallique qui mène jusqu'à une plaque de métal. La jeune femme prend la tête, tente de pousser la plaque, hésite, réexamine la situation, active une barre de métal sur le côté et pousse à nouveau, cette fois avec succès. La plaque semble lourde, il lui faut plusieurs essais avant d'arriver à la déloger du trou et la faire glisser sur le côté, mais ça y est, ils sont libres.

Ils émergent dans la rue alors qu'il fait encore jour. La dernière fois que Mok s'est retrouvé dans les rues d'au-dehors, il était avec les Techs, et cette ville-ci est très différente : plus petite, plus de briques, plus de poubelles dehors, plus de gens. Des fils dorés techs trainent au sol comme des fouets abandonnés. Des piles d'objets éventrés s'entassent soigneusement devant certaines maisons. D'autres sont couvertes de tags. Edwige murmure en les regardant :

— Pro-tech... ils ont l'air de faire une sacrée chasse au tech dans ce quartier. Tu as du tech sur toi ?

Il désigne son chandail et son jean. À une époque - lorsqu'ils venaient de se rencontrer - 5 avait utilisé le fait qu'il porte son blouson tech pour le ligoter par la pensée. Est-ce que quelqu'un d'autre aurait ce pouvoir ? Il demande :

— Ils vont faire quoi ?

— Je ne sais pas... Mais on ne peut pas te déshabiller, ça serait encore plus bizarre... Oh, non, ils viennent nous voir... ne dis rien, d'accord ?

Ça, il n'y voit pas d'objection, mais la nervosité d'Edwige ne lui dit rien qui vaille. Même s'ils redescendent dans les égouts, leurs autres pourront les rattraper sans mal. Il n'y a pas de fuite possible. Plusieurs personnes qui s'activaient sur les tas de détritus se rapprochent, suivies de passants qui semblent intéressés par le spectacle. Pour l'instant, le petit groupe n'est pas hostile, mais il n'est franchement pas amical non plus. L'homme qui a pris la tête leur demande :

— Vous êtes qui, vous ? D'où vous sortez comme ça ?

Ils l'ont tous très bien vu, mais Edwige explique malgré tout :

— On sort des égouts. On ne fait que passer, on veut juste rentrer chez nous.

— Vous êtes pro-tech ?

— Non, non, pas du tout ! Regardez, je n'ai même pas pris ma carte de citoyenne ! Du coup, c'est très compliqué de rentrer chez moi, et... je pensais rentrer à pied, mais j'avais oublié que j'en avais besoin aussi pour les barrages, et les péages, et... j'ai trouvé une plaque d'égout ouverte, alors... je me suis dit que j'allais passer par en dessous ? Je sais que c'est illégal, j'aurais dû mieux réfléchir avant de jeter ma carte, ça demande encore beaucoup d'organisation de vivre sans tech, vous ne trouvez pas ?

Mok trouve qu'elle ment mal. Trop nerveuse. Mais peut-être que l'homme est flatté de la rendre aussi nerveuse, peut-être qu'elle a su trouver les bons mots, ceux qui ont l'air de ne servir à rien et qui apaisent les adultes de l'en-dehors, en tous cas il éclate de rire et lui tape sur l'épaule, tandis que les autres se mettent à rire aussi et à applaudir :

— Et ben ça c'est sacrément culotté ! Je suis content de voir des petits jeunes qui font l'effort de se débarrasser du tech ! Comme vous êtes nés avec, des fois on a l'impression qu'on vous a greffé ces satanées cartes sur le poignet ! Venez, les gamins, je crois que vous avez bien mérité de prendre une douche ! Mandy, tu ne peux pas voir si tu peux trouver des vêtements secs pour la petite et le gosse ? Ils schlinguent comme des rats morts !

Une femme assez âgée, qui porte visiblement une taille proche de celle d'Edwige, acquiesce et les guide vers l'intérieur. Mok suit le mouvement, ils semblent avoir été acceptés. Le moment de leur fausser compagnie à tous viendra bien assez tôt. Et puis il a faim. Il s'est très vite habitué, depuis qu'il est au-dehors, à avoir à manger à volonté.

Certains les suivent et posent toutes sortes de questions à Edwige, qui hésite, bafouille, mais semble globalement les convaincre. La plupart sont restés derrière et examinent l'entrée de l'égout, avant de commencer à descendre. Apparemment, ça leur a donné des idées...

Les Techs - Tome 2 : la Quatrième Guerre MondialeWhere stories live. Discover now