Partie 14 : prière

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Yoro Samb

Une heure, il n'a qu'une heure pour sortir un as de sa manche, et le pire, c'est qu'il a lui-même fixé cette échéance de la mort. Il voulait avoir de l'assurance et bluffer son interlocuteur, et bien on peut dire que c'est réussi ! Aurore n'attendait qu'une occasion, ils semblaient même prêts à se raccrocher à n'importe quel espoir. Mais la réalité, c'est que Yoro n'a rien, et qu'il n'a pas la moindre idée de ce qu'il doit faire pour obtenir ce laissez-passer.

En fait, si, il sait à peu près ce qu'il doit faire. La SRAM ne donne de laissez-passer qu'aux diplomates (déjà tous rapatriés), aux chefs d'entreprise importantes et à leurs familles, et aux agents SRAM de certains services précis. Les agents du B.A.G.N. ne peuvent plus passer. Après vérification, Karl est encore coincé dans l'enclave nordienne, mais cette information ne sert à rien - il ne peut pas s'aider lui-même, comment pourrait-il faire passer Yoro ? Les civils restent la meilleure couverture, mais ils se connaissent tous entre puissants, on ne peut pas introduire une nouvelle personne dans leur cercle sans que la SRAM ne s'en aperçoive.

Non, Yoro ne peut pas faire accorder le laissez-passer à ce fameux inconnu. Il va falloir hacker le Réseau pour en obtenir un faux. À moins que la SRAM n'utilise pas les documents techs et ait mis en place un autre système... Comment le savoir ?

Le jeune homme est très bon en informatique binaire, nettement moins en piratage tech. S'il avait une semaine devant lui, il est certain qu'il pourrait relever le défi - voir encore plus vite si on lui accorde de l'aide. Mais il est seul et n'a pas le temps. Tous les hackeurs qu'il connait sont spécialisés dans le binaire, ainsi que les IA qu'il peut utiliser. Il lui faudrait l'aide des HR du Nord, mais il ne parvient pas à les contacter...

Peut-être que les autres agents d'Edmund sont déjà sur le coup. Que quand il va rappeler Aurore, on va lui rire au nez en disant qu'il ne sert à rien, ou pire, qu'on va le prendre pour un agent du B.A.G.N. ou de la SRAM infiltré.

Ruminer ces angoisses n'aide pas à avancer. Rien n'aide à avancer. Toutes ses tentatives pour se connecter aux dossiers de la SRAM échouent les une après les autres, et dans un élan de rage il balance son ordinateur à travers la pièce.

Bordel.

Tu peux faire mieux que ça, se répète-t-il pour tenter de se calmer. Tu peux le faire si tu réfléchis. Oublie les enjeux, oublie tout ce qui peut mal tourner. Juste concentre-toi et fais-le.

Il reprend l'ordinateur tech. Celui-ci a été éraflé dans la manœuvre, mais il devrait s'être autoréparé d'ici une heure ou deux. Foutues machines, quasiment indestructibles. En plus d'être catastrophiquement durs à pirater, les ordinateurs techs lui ont toujours donné un peu froid dans le dos. Leur manière d'être plus que des machines... Voilà pourquoi jamais la SRAM n'a créé d'IA ou de robot humanoïde en tech, avant les enfants Techs. Et pourquoi les nordiens ont aussi mal réagi. Le tech donne toujours l'impression d'en savoir bien plus long que ce à quoi il veut bien donner accès.

Ce qui vrai, étant donné l'importance du Réseau mondial. Tout ce que Yoro veut obtenir est forcément relié à son propre ordinateur. Il ne reste qu'à convaincre tous les pare-feu qui les séparent de s'écarter bien gentiment d'eux-mêmes.

Et après tout, le tech a bien l'air de faire ce qui lui chante en ce moment. C'est bien toute la raison de cette agitation, non ? Après une rapide vérification, oui, les nordiens ont déjà mis en place des prières.

Plus que dix minutes avant de devoir rappeler Aurore. Autant dire que Yoro n'a rien à perdre. Il lance le rituel.

Presque aussitôt, une voix synthétique s'élève de son ordinateur et demande :

"Que veux-tu ?

Yoro lâche l'ordinateur comme s'il s'était brûlé et bondit en arrière. Qu'est-ce que c'est que cette voix ? Non, c'est stupide, c'est sans aucun doute une sale blague, quelqu'un a mis en place un site qui décrit une manœuvre à faire, qui déclenche cette voix débile... Il s'est fait avoir par un crétin de nordien qui n'avait rien de mieux à faire en période de crise, c'est tout. C'est stupide, mais c'est tout.

Il jure un bon coup - ça lui a vraiment foutu la trouille pendant quelques secondes - et retourne sur son ordinateur.

La blague dure encore, la voix bourdonnante insiste :

Je ne comprends pas. Dis ce que tu veux. Je vais te donner ce que tu veux.

— Mais bien sûr. Un laissez-passer SRAM, petit con, tu as ça dans tes cordes ?

Silence. Tout semble en place, exactement comme à l'instant précédent, et avec un soupir le jeune homme s'apprête à reprendre sa tâche. Sauf que...

Le laissez-passer est là.

Aucune trace d'effraction. Aucun logiciel de hackage lancé. Il est juste... là.

Est-ce une hallucination ? Est-ce que Yoro a désiré l'obtenir tellement fort que son cerveau a préféré basculer dans la folie plutôt que de le laisser admettre son échec ? Il sait qu'il n'a jamais tellement bien géré l'échec, mais là c'est une première.

Avec d'infinies précautions, comme si le moindre impact allait détruire la fragile illusion qu'il voit sur son écran, il fait imprimer le document sur une carte tech qui pourra être lue au poste-frontière. Un petit rectangle rigide, deux centimètres sur trois, sur lequel le logo SRAM brille comme mille feux. De fines incrustations forment un hologramme qui garantit l'authenticité du document. Il semble bien réel, solide sous ses doigts. Plus précieux que l'or.

Et vierge. Aucun laissez-passer vierge n'a jamais pu sortir de l'égide de la SRAM. Il peut en imprimer un autre. Et un autre encore. Le logiciel aurait dû bloquer toute la procédure pour utilisation abusive, mais non. Il peut lancer son propre business de faux documents, il a une véritable mine d'or entre les mains.

Un sourire triomphant aux lèvres, Yoro rappelle Aurore.

Les Techs - Tome 2 : la Quatrième Guerre MondialeNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ