Partie 43 : l'échappée

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Mok :

Mok n'est pas du genre à faire des plans. Ce qui a toujours marché pour lui, c'est de mettre des possibilités en branle, le plus possible, et pendant que les autres hésitent et pinaillent sur ce qu'ils doivent faire, profiter du chaos pour saisir la moindre opportunité. Un bon mensonge, c'est la base pour ce genre de stratégie. Si les kidnappeurs font venir Thune, Mok leur souhaite bien du plaisir pour arriver à s'en tirer avec lui - son chef est l'homme le plus intelligent, retors et implacable qu'il connait, et il ne laissera pas ces sales extérieurs arrogants l'utiliser à leur guise. Rien que l'idée de Thune apprenant la politesse à ce docteur brutal - en lui cassant tous les doigts, par exemple - est d'un grand réconfort.

Mais ça ne veut pas dire qu'il va compter sur Thune pour s'en sortir, ni même qu'il va l'attendre ici. Retrouver son chef serait une bonne idée, il est perdu et ne peut plus compter sur 5, mais Thune pourrait bien être tout aussi perdu à l'extérieur. Le Prophète pourrait les aider, s'il est toujours en vie. S'il en a l'occasion, Mok aimerait vraiment les retrouver, ou ses autres camarades combattants pour Thune. S'ils ne le détestent pas pour son évasion avec la Princesse-Esprit, bien sûr.

Sauf qu'un bon stratège ne perd pas de temps à soupirer sur ce qu'il aimerait et il fait avec ce qu'il a. Pour l'instant, les kidnappeurs ont pris en compte son mensonge et ont passé du temps à discuter entre eux. Peut-être qu'ils vont chercher Thune, peut-être pas. En attendant, il a profité de ce temps pour essayer d'en savoir plus sur le lieu où il était et ses protections. Rien de bien encourageant. Ses geôliers semblent peu nombreux, c'est déjà ça : il en a compté six, qui vont et viennent, mais n'ont encore jamais été remplacés par d'autres gardiens. Il y a toujours un adulte qui reste avec lui, mais qui ne le surveille que du coin de l'oeil, tout en s'occupant des machines. Les menottes ne semblent pas être au rendez-vous tant qu'il n'a pas à rester seul. Il n'y a aucune fenêtre, aucun moyen de savoir s'il est dans un immeuble ou un sous-sol. L'endroit est silencieux, on n'entend aucune activité extérieure.

Lorsqu'il a demandé à aller aux toilettes, on l'a amené jusqu'à une petite pièce tout aussi aveugle où il n'y avait qu'un trou dans le sol pour évacuer. Rien à voir avec les pièces luxueuses et confortables qu'il avait très vite appris à apprécier dans la tour. Sur le chemin, des couloirs sans fenêtre, sans indications, et quatre portes. L'une d'entre elle était différente - épaisse, dotée d'un lourd blindage, de verrous et d'un panneau permettant de n'ouvrir qu'une petite portion. Une sortie ! Ou une cellule bien mieux gardée que la sienne. Peut-être est-ce là qu'ils gardent les deux femmes qui l'accompagnaient... Ils ne les ont sans doute pas tuées. S'ils veulent les Techs, il leur faut toute l'aide des humains qui les connaissent.

Mok avait hésité à forcer son chemin par cette porte. Il n'y avait qu'un seul adulte qui l'accompagnait, et il avait trois billes techs. Une pour se débarrasser du garde, une pour ouvrir la porte, et il était libre, il n'avait plus qu'à courir dehors... Si c'était dehors. Si c'était une cour avec d'autres gardes, il était foutu. Même chose si c'était une cellule.

Finalement, il avait décidé de patienter encore un peu.

Les autres adultes ont fini par revenir dans la grande salle avec la caméra, et lui ont fait enregistrer le message de détresse pour 5. Mok espère qu'elle ne tombera pas de ce panneau. Oui, si elle venait le sortir de là, ce serait génial, mais rien ne dit que 5 sortirait victorieuse de ce combat. 3 l'empêchera sûrement de venir. Si elles venaient toutes les deux, 3 qui ne fait confiance à personne et 5 qui n'a peur de rien, les deux Princesses-Esprits pourraient sûrement le sauver. Mais il y a peu de chance. Seule 5 tient vraiment à lui, 4 l'apprécie sans vraiment le comprendre, 3 se méfie de lui comme de la peste, les autres sont gentils mais assez indifférents. Et Milley le déteste. Elle ne l'a jamais montré ouvertement, elle se contente de l'ignorer, mais il sait que toute cette histoire de "lui trouver une nouvelle maison" est un moyen pour Milley de l'éloigner des Techs. Elle trouve qu'il a une mauvaise influence. Elle ne veut pas que ses enfants magiques deviennent comme lui, des tueurs.

Elle devrait. Ils sont les plus puissantes créatures du monde, à part la chose qui se cache dans le tech, il serait grand temps qu'ils apprennent à tuer et se lancent vraiment dans le combat, au lieu de se cacher. Est-ce que la chose empêchera 5 de se lancer à sa poursuite ? Est-ce que la chose est vraiment son ennemie ? D'après 5, elle s'est mise à exaucer des voeux partout sur la planète, mais elle n'a jamais écouté son voeu à lui d'ouvrir les portes techs. Il l'a pourtant priée, comme le Prophète lui a appris.

De toute manière, pas de tech ici. Il ne peut compter que sur lui-même et ses trois billes.

Ce n'est pas avant le lendemain qu'une nouvelle opportunité se révèle.

On l'a attaché à nouveau sur le lit pendant la nuit, mais une de ses geôliers est venue le libérer au matin. Du moins le laisser libre de ses mouvements dans la petite pièce quasiment nue, pendant qu'elle le surveillait. On lui a donné à manger, mais toujours pas de quoi se laver. Dommage, il avait aussi appris dans la tour à apprécier l'eau chaude à volonté.

Des bruits éclatent, des bruits que Mok connait bien : des coups de feu et des cris. Un peu étouffés, mais proches - la salle d'à côté ? Non, l'autre mur. Il finit par coller son oreille au mur. Ça vient bien de là, des coups de feu encore, et un vrombissement de moteur accompagné de roues qui crissent. L'extérieur est juste là, de ce côté.

"Qu'est-ce que tu fous ? s'exclame la gardienne.

Elle l'attrape par les cheveux et lui rejette la tête en arrière. Elle gronde :

— Toi, tu restes tranquille ici.

Une hésitation, puis elle ajoute, un peu plus gentiment :

— Il ne t'arrivera rien ici, n'ai pas peur.

Mok n'a pas peur. Il calcule.

Quoi qu'il se passe de l'autre côté de ce mur, ce n'est pas le moment de s'y précipiter. La femme ne s'affole pas et ne l'a pas rattaché pour courir aider les autres, donc elle s'attend à ce que la situation soit maitrisée très vite. On entend encore d'autres moteurs. Une poursuite. Ce qui veut dire que tout le monde, sauf sa gardienne, doit être en train de courir après quelqu'un. Une occasion en or.

Il se replie sur lui-même et sort discrètement une première bille de la doublure de son pull. 5 les a programmées pour qu'elles ne se déclenchent qu'à certaines conditions, pour qu'un humain puisse les utiliser sans risque s'il connait le truc. Ils n'ont pas eu beaucoup de temps pour que Mok s'entraine, et ils devaient rester discrets. Mais il a le principe bien en tête. Appuyer sur deux côtés opposés, deux fois. Après, il a cinq secondes pour lancer, avant que la matière tech de la bille ne coule comme un liquide... et ne se referme à nouveau.

On n'entend plus rien dehors. Mok attend encore un peu, par prudence. La femme soupire, s'ennuyant visiblement, et lâche :

— Bon, ils ont l'air d'avoir fini, on devrait être tranquilles. On va pouvoir te préparer pour la prochaine vidéo. Tu veux...

Il ne la laisse pas finir avant de lui jeter la bille au visage.

La matière tech se déploie, avec une lenteur paresseuse, enveloppe la tête et les épaules de la gardienne, puis se resserre. Le reste du corps reste debout, immobile, pendant deux secondes, puis s'écroule.

L'enfant a beau avoir déjà vu les billes à l'oeuvre, il reste un peu choqué devant le spectacle, stupidement immobile tandis qu'il fixe la mare de sang qui commence à se former. Il se gifle. C'est le moment d'être rapide, efficace et concentré.

Il fouille les poches du corps, récupère des clés, des cartes magnétiques, un téléphone binaire et un porte-monnaie. Le revolver qu'elle gardait dans un holster sous l'aisselle est inutilisable, la bille l'a atteint et en a broyé la moitié.

Peu importe. Il active une autre bille et la jette sur le mur. Elle forme un trou presque parfaitement circulaire, par lequel il n'a plus qu'à se glisser.

Il arrive bien à l'extérieur. Aucune alarme ne retentit. Le bâtiment où on le gardait était un hangar métallique bas, d'un seul étage, et tout autour de lui il voit des dizaines d'autres bâtiments du même type. Sans doute d'autres prisons, mais il ne voit aucun grillage, pas de barbelés, rien qui pourrait lui barrer la route. Il se met à courir.

Il y a de l'eau, pas loin. Un cul-de-sac. Il tourne. Ce qui compte, c'est qu'il puisse retrouver du tech, n'importe où, et tout en courant à perdre haleine il guette dans les murs et sur les poteaux les fils d'or à présent si familiers.

Au loin il entend à nouveau des coups de feu éclater, suivi de sirènes de police. Il tourne dans la direction opposée et accélère encore.

Les Techs - Tome 2 : la Quatrième Guerre MondialeWhere stories live. Discover now