Le Cirque Mystique

Chapitre 6

Conquise, Daphne s'installa plus confortablement dans son siège. Elle espérait que le numéro suivant serait tout autant spectaculaire. Le noir se fit. Un à un, des projecteurs tamisés éclairèrent une femme pulpeuse à la crinière violine , à l'attitude féline qui se présenta au milieu de la scène. Ses cheveux épais ornés de pierreries et de plumes se dressaient dans une coiffure des plus sophistiquées.

L'artiste était nue, seul un foulard noir satiné qu'elle portait tel un châle qui formait un contraste avec la blancheur pâle de sa peau. Elle se mit à se mouvoir au rythme d'une mélopée jouée à la flûte, le châle noir ondulait à chacun de ses gestes. Plus elle dansait, plus elle ressemblait à un serpent hypnotique. Sa chorégraphie lascive faisait monter la température et Daphne vit plusieurs hommes déboutonner leur chemise.

La femme saisit une plume de paon de sa coiffure savamment étudiée. Dans un geste aussi sensuel que gracieux, elle en effleura ses bras, son buste et enfin ses jambes. Puis elle la lâcha. La plume à terre, elle l'écrasa sous son talon ce qui la réduisit en poudre. De ses cendres, elle s'en barbouilla le corps. Les perles de sa coiffure scintillaient et miroitaient au gré de ses mouvements. Un astre blanc représentant la lune descendit du plafond inexistant et s'arrêta au dessus d'elle.

Sur le croissant de lune, un garçonnet s'y balançait gaiment, en collerette et habit de Pierrot. C'était lui qui jouait de la flûte, accompagnant la danse sensuelle. Ondoyant des hanches et du ventre, celle ci leva les bras partiellement recouverts de cendre brune et retira les collier de perles qui ornait sa chevelure. Libérés, ses cheveux descendaient en cascade jusqu'à la lisière de ses reins. La bouche entrouverte et les mains graciles, l'artiste offrait un spectacle autant érotique que mystérieux.

Daphne surprit plusieurs spectateur excité dont la braguette menaçait de céder à tout moment. D'ailleurs, elle aussi était fascinée par la femme sur scène. La flûte cessa subitement. Le garçon sur la lune pencha la tête, son minois savamment peint de blanc. Il sifflota un petit coup tandis que l'artiste étira ses membres avec souplesse. Soudain, le petit Pierrot se balança avec force sur le croissant de lune et prit son élan. Dans un saut périlleux précis, il atterrit sur la danseuse aux cheveux violines qui s'était recroquevillée sur elle même. Le choc de la chute provoqua une explosion de fumée blanche, durant laquelle les spectateurs retinrent leur souffle, à l'affût.

Des exclamations d'épouvante fusèrent dans tout le public. La fumée quelque peu dissipée, Daphne put enfin voir le spectacle de ce choc. Le corps de l'artiste s'était éparpillé en plusieurs morceaux, les bras et les jambes se trouvaient au quatre coins de la scène. Les hommes qui étaient quelques instants plus tôt excités par ce numéro se figèrent d'horreur.

Seule Daphne garda son calme. Elle comprit enfin. Océlia n'était pas que des bras qui s'agitaient au guichet, c'était aussi une femme à part entière! Elle avait simplement la capacité de se déboîter les membres. D'ailleurs, les jambes de celle ci remuèrent et se relevèrent pour marcher en autonomie, les bras étirèrent ses doigts et voletèrent vers un point de convergence. Doucement, chaque parties de son anatomie rejoignit la tête restée au centre de la scène.

Le garçon assis dans un coin de la piste, bondit tel un pantin et sortit un fil et une aiguille de sa collerettes. Trottinant, toujours aussi joyeux, il récupéra les bras et les jambes pour les poser à côté du buste. Et doucement, il se mit à coudre les membres entre eux. Ses gestes souples et précis tenaient le public en haleine, chacun retenait son souffle.

Pierrot s'occupa des jambes après avoir recollé les bras et la tête. Il travaillait efficacement, dodelinant de la tête comme s'il ce qu'il effectuait était une tâche journalière. Puis comme une poupée de chiffon, la femme s'anima et tourna sur elle même pour disparaître dans les air, aussi vite qu'elle était apparu. Le garçon qui avait rangé son fil et son aiguille dans son petit chapeau pointu se retrouva seul sur scène. Enjôleur, il sortit sa flûte et entama un air guilleret, inconnu du public. Ce moment d'insouciance permit aux spectateurs de se détendre.

Mais cela fut de courte durée car les éclairages du cirque s'éteignirent subitement. Les spectateurs surmenés paniquèrent un instant, des cris fusèrent. Daphne sentit son cœur s'accélérer et dans le noir le plus complet, elle était aux aguets. Ce qui l'inquiétait le plus était qu'elle sentait une présence à proximité et lorsque qu'une chose visqueuse et froide lui entoura le mollet, elle ne put crier tellement l'effroi la paralysait.

Les éclairages s'allumèrent de nouveau. Et Daphne put voir ce qui l'enlaçait et ce qu'elle vit l'effraya. Un magnifique serpent s'enroulait le long de sa jambe. De son pied libre, elle tenta de se dégager du reptile et de désespoir, elle pria à haute voix pour qu'il ne la morde pas. Elle n'avait plus aucune idée de ce qui se passait autour d'elle et qu'elle ne fut pas sa surprise lorsque le projecteur l'éclaira. Daphne sentit le regard du public posé sur elle et rencontra celui de deux petits garçons identiques qui s'approchaient. L'un était le petit Pierrot du numéro et l'autre était son miroir, les artifices en moins; des jumeaux sans aucun doute. Celui de droite lui sourit et les mains dans le dos lui annonça d'une mignonne voix:

-Il est rare que Lee s'infiltre dans le public.

Le second garçon continua d'une voix identique à celle de son frère.

-Es-tu charmeuse de serpent?

Daphne secoua la tête, elle ne sût que dire ni que faire.

-Cela ne sert à rien. Lorsque Lee choisit quelqu'un, elle ne le lâche plus jusqu'à ce qu'elle...
-Chut! Tais toi!

Le garçon de gauche interrompit son jumeau d'un coup de coude. Puis il haussa les épaules:

-Allons finir la prestation sinon Owl nous tirera les oreilles.

Laissant Daphne à son sort, ils retournèrent sur scène, se composant un visage de circonstance et sortirent chacun une flûte de pan de leur chapeau.

En quelques notes, le public s'endormit à point fermé.