Chapitre 33

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L'amour était une émotion bien singulière, souvent confondue avec le désir. La frontière qui séparait les deux étaient aussi floue que poreuse. Parfois il arrivait que les deux s'apprivoisent et fassent un bout de chemin côte à côte pour se dire adieu quelques pas plus loin. D'autre fois, le désir avait une foulée d'avance sur l'amour qui le rejoignait tardivement. Il existait donc une multitude de combines auquel Daphne avait été confronté depuis son enfance et le premier cas, celui de ses parents, n'avaient pas porté leurs fruits. En effet, l'amour et le désir n'avaient pas été au rendez-vous et ne s'étaient jamais croisé. Alors la notion d'amant qu'avait abordé Owl lui était curieusement étrangère. Elle releva pourtant le regard fuyant de cet homme pour qui il était difficile de ne pas paraître embarrassé. Afin de cacher son trouble, il porta la main à son front et se massa les tempes. Il paraissait éreinté.

-J'espère ne pas t'avoir incommodé, soupira-t-il. Il est vrai que la situation peut porter à confusion.
-Pas d'inquiétude, je comprends tout à fait.

Daphne eût la délicatesse de ne pas ajouter qu'il était le plus gêné d'entre tous et préféra garder ses pensées pour elle. Elle le vit s'adosser au mur et fermer les yeux. Les cernes qu'il arborait était le résultat de son fidèle et dur labeur. Casper s'agita en sentant son perchoir tanguer.

-Dis, tu ne vas pas t'écrouler ici, n'est ce pas?!
-Casper, s'il te plait... Juste un moment.

L'oiseau consentit alors en silence et descendit de l'épaule de son ami pour se poser au sol. Cela permit à Owl de se laisser choir doucement et de savourer ce court répit. La jeune femme supputa que sa profession devait aspirer son énergie tant et si bien qu'il revenait de ses rondes épuisé. Les vêtements du messager avait également vécu de difficiles instants avec le monde extérieur. Rapiécés, il étaient marqués de ça et là. Le regard de Daphne suivit la courbe de son cou qu'il offrait inconsciemment à la vue de quiconque, la tête posée au mur et descendit sur sa silhouette harmonieuse. Elle fut brutalement interrompu par Casper qui lui affichait une mine hostile:

-C'est le moment où tu peux partir, suggéra-t-il, farouche.
-Inutile d'être si désagréable, répondit-elle simplement.
-Ce qui est désagréable, c'est d'observer les autres pendant leur sommeil.
-Chose que tu ne fais évidemment pas... Bien sûr, ajouta-t-elle les yeux au ciel.

Et comme il lui fut suggéré, elle s'en alla sans omettre un dernier regard pour Owl qui était surement perdu dans les limbes de ses songes. Casper était le dernier de ses soucis mais cet animal possédait de bien trop rudes paroles. Elle s'était un instant égarée sur le profil d'Owl mais cela ne faisait pas d'elle une voyeuse pour autant. Décidément, cette notion de voyeurisme était commune à quelques membres du cirque... À présent, elle en était revenu à la recherche d'Icare avec lequel elle partagerait le quatrième numéro de la soirée. Il devait certainement l'attendre avec fébrilité dans l'atelier où ils avaient conçu leur sublime collaboration.

Alors elle pressa le pas, persuadée que le temps lui échappait bien trop vite. Pourtant un éclair translucide au bout du couloir attira subitement son attention et la jeune femme plissa les yeux. Cet éclair avait l'apparence d'un serpent qui se distinguait de Lee par sa couleur et par sa taille. La forme de ses écailles formaient une splendide mosaïque et plus elle s'approchait, plus elle constatait que c'était un beau spécimen. Toutefois, il n'avait sa place en ces lieux et devait retourner au plus vite auprès de son propriétaire. Il était malgré tout étrange d'égarer un animal de cette envergure et comme pour faire écho à ses pensées, une voix héla au loin:

-Quiny! Que fais-tu là enfin?

Le serpent se mouva aussitôt tandis que la peintre leva lestement la tête. Aussitôt, elle appréhenda le nouvel arrivant. Ce dernier était tout aussi particulier que l'attrayant serpent et son instinct perçut l'étrange halo qui l'entourait. Son âge se traduisait par la juvénilité de ses traits et il paraissait à peine sorti de l'adolescence. Ses longs cheveux opalins et soyeux étaient subtilement nattés, encadrant son beau visage. Sa fine silhouette androgyne apportait à cet inconnu une délicatesse insoupçonnée.

-Où était-tu passé petit malin? Réprimanda-t-il gentillement.

Le serpent ne répondit pas et se tourna vers Daphne, spectatrice silencieuse de ces retrouvailles. Alors opéra un changement chez le jeune garçon qui la dévisagea intensément. Il haussa un sourcil et son regard voilé d'épais cils se fit dévorant. Ses lèvres s'incurvèrent lentement en un sourire aiguisé ce qui la mit sur ses gardes. Cet adolescent possédait les yeux pénétrants de Marilyn et le cruel sourire de Canigula, un portrait loin d'être flatteur.

-Bonsoir.

Sa douce voix la fit frissonner et ses sens se mirent définitivement en alerte. Comme il s'adressait à elle, elle se vit dans l'obligation de lui rendre la pareille mais il ne s'agissait là que de pure politesse. L'envie de s'éloigner se fit pressante.

-À qui ai-je l'honneur? Susurra-t-il.
-Daphne Merin, articula-t-elle.

Un éclat luisa brièvement au fond de ses prunelles sombres et il hocha de la tête. Son charmant visage n'était qu'interêt déconcertant et énigmatique.

-Enchanté très chère, je suis Sown Ambrose.

Posant une main au sol, le dénommé Sown incita son serpent à escalader son bras. Puis son autre main se tendit en direction de Daphne qui émit une réserve passagère. Cela ne passa pourtant pas inaperçu auprès du jeune garçon dont le rictus se fit carnassier. Il retira sa main féline et demanda négligemment.

-Aurais-tu aperçu deux femmes qui se promenaient par ici?
-Oui, elles assistent au spectacle en ce moment.
-Aurais-tu l'amabilité de m'indiquer cette fameuse salle de spectacle?

Et c'est ce qu'elle fit, résistant au désir urgent de prendre de la distance. Cela ne l'étonnait pas qu'il connaisse Tiffen et son amie, ces deux-là lui avaient semblé être une source à problème. Mais à la différence, ce Sown possédait une aura qui relevait du sinistre. Daphne se demanda subitement la raison pour laquelle Owl s'était lié à Tiffen, lui qui était si loin de toute obscurité. Ce ne fut que lorsqu'elle le mena à bon port qu'il reprit la parole:

-Quiny et moi te remercions d'avoir pris de ton temps, Daphne Merin. Nous avons hâte de faire davantage ta connaissance.
-Moi aussi, affabula-t-elle.

Son rire perlé carillonna agréablement à ses oreilles mais ce qu'il ajouta la glaça aussitôt:

-Vraiment? Moi qui croyait que les adultes ne mentait pas...

Et même lorsque la porte se ferma dans un bruit sourd, son rire fantomatique la poursuivit.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant