Chapitre 35

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Dans le bureau personnel d'Évide, le propriétaire des lieux était assis sa chaise brodée de tissus obscurs. Soupesant une missive à son nom, il sortit son encrier d'un geste précautionneux. Son tapis avait un jour vécu une mésaventure, de l'encre avait roulé le long de son bureau jusqu'à goutter dessus. Il préféra alors prendre ses précaution afin que cet incident ne se renouvelle pas. Évide ouvrit la lettre et écarta négligemment l'enveloppe, l'écriture penchée et autoritaire qui ornait le papier ne lui était pas inconnue. Il reconnut également le sceau du conseil, il devina alors le destinataire de la missive. Cessant de tergiverser, le directeur entama sa lecture à la lueur de sa lampe tarabiscotée. Malgré qu'il soit plongé dans une lugubre pénombre, Évide possédait un gout certain pour les lieux fuligineux et la lumière qu'elle diffusait lui suffisait.

Au fil sa lecture, il fut importuné par le sifflotement d'une voix provenant de sa fenêtre constamment entrouverte. Il leva résolument les yeux et distingua, à travers les rideaux dansants au gré du vent, la silhouette d'un jeune individu. Elle se découpait en contre nuit, assise sur le bord.  Le sifflement semblable à un serpent à sonnette perdura alors qu'Évide sentait sa patience s'amenuiser.

-Sown, ça suffit.

Un rire perlé carillonna et le fameux Sown se révéla de son poste d'observation. Balançant les jambes tel deux pendules, il rejeta ses longs cheveux vers l'arrière et descendit d'un bond précis. Il atterrit là où la tache d'encre formait une marque indélébile.

-Évide... Quel plaisir de te voir!
-Ce n'est pas un plaisir partagé.
-Quel piètre menteur nous avons là!

À l'instar d'un félin, Sown se pourlécha les babines et plissa les yeux. Il s'accouda gracieusement au bureau et son interêt se décupla lorsqu'il avisa la lettre qu'Évide tenait entre ses longs doigts.

-Que fais-tu là? Demanda ce dernier, mine de rien.

Il savait inutile de répondre aux provocations du freluquet, il était aguerris aux répliques de Sown. Il reprit les pans de la lettre et la posa dans un des tiroirs du bureau. Il sortit à la place de nouvelles feuilles ainsi qu'une plume et commença la rédaction. Comme le jeune homme ne répondait pas, il lui jeta un regard inquisiteur par dessus sa lampe. Enjôleur en surface, Sown le dévisageait, les yeux lugubres.

-Tu m'as manqué, tu sais.

Et il contourna le bureau pour s'approcher d'Évide qui cessa sa rédaction infructueuse. Inutile de s'acharner avec ce garnement dans les parages. Le dit garnement plongea lascivement les doigts dans les cheveux du directeur et demanda, la voix exquise:

-Et moi? Je t'ai manqué?

Évide ricana et secoua la tête, en proie à une hilarité moqueuse.

-Pas le moins du monde.

Sown durcit soudainement sa prise sur les mèches cendrées de son vis à vis et ce qui n'était auparavant qu'un toucher agréable se mua aussitôt en rude poigne.

-Vraiment? Susurra-t-il. Je n'y crois pas un traitre mot. Décidément, les adultes ont véritablement le mensonge dans la peau.

Le directeur le toisa et lentement Sown le délivra de sa rude poigne. Il se contenta de reprendre le cours de ses caresses capillaires alors qu'Évide ouvrait le tiroir à sa droite, se munissant d'un cigare qu'il alluma, flambant le bout. La fumée s'échappa d'entre ses lèvres.

-Tu fumes toujours.
-Tu m'apprends quelque chose.
-Ne sois pas si buté, lui reprocha Sown, tout sourire.

Et il retira sa main des cheveux d'Évide afin de faire un tour de la pièce. Un rapide coup d'oeil suffit, le mobilier n'avait pas grand chose à omettre sur le caractère de leur propriétaire. À la place, il choisit de s'intéresser davantage au mur qui proposait moult photographie. Il y en avait des anciennes, d'autres bien plus contemporaines mais celle qui attira l'oeil affuté de Sown fut un cliché de la troupe du Cirque Mystique.

-Il manque quelqu'un, dit-il.

Évide expira et le considéra avec distance.

-Qui? Se vit-il demander.

Mais il avait déjà deviné l'identité de la personne manquante dont Sown parlait. Toutefois, il ne put s'empêcher d'admirer la perspicacité du gamin.

-Une certaine Daphne Merin, il me semble?
-Il est vrai qu'elle n'est pas sur cette photo.
-Mais dis moi..., ajouta-t-il, se détournant des cadres. Tu comptais la cacher?
-Absolument pas.

Aussi rapide qu'un serpent, Sown se rapprocha à nouveau et fit valdinguer papiers et plumes du bureau. Une fois encore, le tapis absorbait goulûment l'encre tristement renversé. Le jeune homme s'assit sur le bureau et fit face à Évide avec une curiosité dévorante.

-Je jurerais un picaillon que si!
-Si cela te chante...

Sown se pencha vers lui et lui dit, doucereux:

-Si ce n'est pas le cas, tu sais pertinemment qu'il faut la présenter à père et au reste du Conseil.
-En effet.
-C'est simple, quand?
-Bientôt.

Le garnement agrippa de l'index le col d'Évide et l'attira à lui avec une lenteur calculée, lui murmurant à l'oreille.

-Oh non mon mignon. Tu connais le règlement, je te conseille de la présenter rapidement.
-Est-ce une menace?
-Évidemment! Gloussa Sown, se reculant à peine.
-Dans ce cas, pas d'inquiétude. Je n'ai rien à craindre des menaces d'enfants.

Instantanément, le dit-enfant perdit son sourire et sa part d'ombre se manifesta dans son regard qui devint acérée. Son visage de prime abord angélique ne possédait en réalité qu'un fond bien plus inquiétant.

-Je te pensais mon naïf mon chéri. À présent que j'entre dans l'équation, ta fameuse nouvelle deviendra le centre d'attention du conseil.

Et il se pencha pour lui chuchoter à nouveau:

-Excitant n'est-ce pas?
-Seulement pour toi, je le crains, lui répondit lentement le directeur.
-J'aime assez être le seul à m'amuser. Comme tu le sais mon quotidien est morne et je m'occupe comme je le peux! Et ça m'assurera de te revoir bientôt, je déplore que tu ne viennes pas me rendre davantage visite...

Et comme justifier cette demande d'attention, il frôla d'une main caressante le visage d'Évide alors que la rage qu'il éprouvait le faisait bouillir de l'intérieur. L'homme assis sur sa chaise de bureau était impassible à l'instar d'une statue grecque.

-Tu devrais davantage me remercier, je n'alimente pas tes fantasmes.
-Mais quel grossier personnage... Mes fantasmes se portent bien, merci. Mais tu devrais laisser les tiens éclater au grand jour, ce n'est jamais bon de les réfréner.

Ce fut le déclic qui tendit Évide.

-Ça suffit.

Alors retrouvant un lascif sourire, Sown reprit son poste d'observation initial qui se trouvait être le bord de la fenêtre. Il conclut, ricanant:

-Ça suffit, oui... Pour le moment.

L'instant suivant, il avait sauté, semblable à une chimère aux longs cheveux ivoirins.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant