Chapitre 21

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Selon Zalie, l'arrivée de Daphne au sein du sérail était de bons augures car elle sentait que sa venue lui procurait un certain regain de créativité. Il lui manquait un petit sursaut d'originalité ces derniers temps et une nouvelle recrue lui permettrait de redonner des couleurs à son inventivité.

À la lumière de la chandelle, elle évaluait la qualité de son tissu, elle tâtait la souplesse de la popeline et une  paire de ciseaux à la main, elle découpa  avec minutie cette matière à l'essence papale. Une aiguille dans l'autre, elle assembla harmonieusement les pans de l'étoffe.

Dans un coin sombre de son atelier, un homme était assis. Il s'était éloigné du halo de lumière et se contentait d'observer cette petite main s'affairer. Bercé par la litanie de la machine à coudre, il demanda:

-Qu'en penses-tu?

Bien que concentrée, Zalie lui répondit distraitement:

-De quoi tu parles?
-La nouvelle.
-Je pense que le blanc lui irait comme un gant. Ou le grenat... Des teintes que j'utilisais rarement pour Océlia et Korell, la carnation de leur peau ne s'y prêtait guère.

Wooden soupira en s'asseyant plus confortablement, il ne paraissait pas satisfait de la réponse.

-Non, je m'adresse à Zalie, la membre du Cirque. Pas à l'artiste.

Elle suspendit son aiguille qui luisait au reflet de la bougie et resta à contempler son ouvrage. Son rôle au sein de la troupe et son rôle de costumière ne faisait qu'un pour elle, elle ne les différenciait pas puisque chaque membre était un artiste dans son domaine, qu'il soit sur scène ou à l'ombre des coulisses.

-Quelle différence? Demanda-t-elle, laconique.
-Il y en a une !

Sa voix rauque fit frissonner Zalie qui lui lança un regard furtif. Les yeux byzantins de cet homme la troublaient, particulièrement lorsqu'il la regardait avec  attention. Mais elle avait beau être sous le charme, elle n'était pas nécessairement en accord avec ses propos.

-Eh bien, il n'y en pas pour moi! Je trouve qu'elle apporte un souffle nouveau et je parle au nom de Zalie, membre du cirque et costumière. Tu as ta réponse, satisfait?
-Oui, je suppose.

Et il se leva pour s'approcher d'elle. D'une main assurée et d'un geste tendre, il lui releva les cheveux qui s'emmêlaient dans son dos. La poupée s'immobilisa, incertaine de la réaction qu'elle devait adopter. Wooden n'était pas une personne tactile mais voilà que depuis quelques temps, son attitude vis à vis d'elle avait changé. Un rapprochement subtil...Tandis qu'il tressait ses longues mèches blondes, il remarqua qu'elle avait interrompu son activité:

-Ne cesse pas de coudre, lui dit-il.
-Comment veux-tu que je me concentre?
-Es-tu déconcentrée par si peu?

Et il rit doucement. Mais Zalie ne supporta pas son ton goguenard et, d'un mouvement rapide, elle se dégagea  de son emprise. Pourtant, la chaleur des mains de Wooden lui manqua aussitôt. La force et la douceur de ses mains puissantes, la réduisait à l'état de poupée de chiffon, incapable d'écouter sa raison.

-Va embêter quelqu'un d'autre, lui dit-elle sans conviction.
-Tu me chasses ?
-Va voir Évide dans ce cas! Je suis certaine que tu as une tonne de choses à lui raconter.
-Océlia est dans le bureau d'Évide.

Zalie suspendit son geste pour la seconde fois et releva la tête. Rencontrant le regard de Wooden, elle fronça les sourcils, soucieuse.

-Qu'a-t-elle fait?
-Tu penses plus aux autres qu'à toi même, dit-il perplexe.
-Wooden ! Océlia est mon amie. Je veux savoir ce qu'il se passe ?
-Rien de bien méchant, une simple crise de jalousie.

La poupée soupira. Il était vrai qu'Océlia était d'une jalousie maladive mais rare étaient les fois où elle se faisait remonter les bretelles. Mais pourquoi voulait-elle autant attirer l'attention d'Icare ? Se mettre dans des états pareils pour un homme et surtout prendre le risque d'être convoqué par Évide ! Elle décida alors d'aller la réconforter et aussitôt elle se leva de son siège.

-Où vas-tu? Demanda Wooden en la retenant par la main.
-Voir Océlia.
-Ne t'en mêle pas Zalie !
-L'amitié est-il un concept que tu ignores ?
-L'amour, plutôt. Tu le sais mieux que quiconque, n'est-ce pas?

La poupée retira sa main comme si elle eût été brulée à ce contact. Zalie se sentit soudain misérable. Wooden était vraiment un mufle quand il le voulait, à souffler le chaud et surtout le froid. Elle avait bien compris qu'il ne partageait pas son amour, elle n'en prendrait pas ombrage. Mais elle regrettait amèrement lui avoir fait part de ses sentiments et s'être laissée aller à la mièvrerie. Il s'apprêtait à saisir une nouvelle fois sa main mais elle esquiva, une colère sourde animant son corps. Il l'avait blessée.

-Tu es parfois cruel Wooden !

Elle sortit de son atelier, refoulant ses larmes. Elle en fut bien inspirée car à contresens, elle vit arriver une Daphne déterminée qui semblait chercher son chemin ou une issue à ce corridor. Zalie hésita à retourner sur ses pas pour prévenir Wooden. En tant que secrétaire du cirque, il saurait certainement agir. Mais son amour propre lui déconseilla de rebrousser chemin. Savait-il que la nouvelle recrue s'apprêtait à s'enfuir?

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant