Chapitre 32

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Sous le chapiteau, l'agitation était à son comble. Les spectateurs piaffaient d'impatience, déjà conquis par la mystérieuse atmosphère qui embaumait l'air. En coulisse, l'agitation était tout aussi galvanisante. Tous se cherchaient du regard, se lançaient de silencieux encouragements et tentaient de se concentrer pour les dernières minutes qu'il restait. Zalie était en retrait mais s'attelait à observer la solidité des costumes. Quelque fois, il arrivait que les mouvements des artistes ne se fassent trop brusques et qu'il faille repriser un point en catastrophe. Alors elle se tenait là, vigilante.

Au delà de sa mission professionnelle, elle appréciait voir les costumes sur chacun, cela lui donnait alors des idées pour de prochaines esquisses. La poupée remarqua plus loin Korell et Angelo qui se chuchotaient sûrement de belles paroles. Comme elle l'avait prédit, ils s'harmonisaient jusque dans leurs vêtements. Aaricia venait de jeter un discret coup d'oeil derrière les épais rideaux comme pour se rassurer. Surexcitée, elle affirma que la salle était comble et impatiente. Zalie sourit tendrement en la voyant piquer un fard à la venue de Yon, ces deux petits partageaient de beaux sentiments purs. Il était parfois enviable d'être un enfant. Soupirant de lassitude, elle n'eût le loisir de remarquer Wooden à ses côtés. Ce ne fût seulement lorsqu'il se pencha pour lui prodiguer un conseil qu'elle se raidit.

-Cesse d'être si tendue, lui dit-il.

Zalie ravala aussitôt les sombres injures qui lui polluait l'esprit. De quel droit se permettait-il? Elle se contenta de serrer les poings, tremblants de faiblesse. Wooden gloussa furtivement, amusée de ce comportement. Sa belle Zalie lui offrait un comédie bien divertissante. Son regard scrutateur glissa le long de son échine et se fit appréciateur. Il n'avait eût le temps de l'observer à loisir et cette fois, il ne bouda pas son plaisir. Cette séduisante robe lui marquait savamment les hanches et il ne pût brider son envie de l'effleurer. Action qui crispa Zalie davantage.

-Ne me touche pas! Lui ordonna-t-elle, furieuse.
-Le chaton est en colère... Je vois.

Alors qu'elle le foudroyait toujours du regard, il lui accorda un sourire glacé.

-Je ne te toucherais pas, compris.

Et il recula d'un pas, zieutant toujours le physique de la femme qui le rendait ivre de désir. Ne pas avoir accès à sa peau comme bon lui semblait serait un calvaire.

-Ce ne sera pas évident de plus te toucher. Pourtant je sais combien tu apprécies mes caresses et mes baisers.
-Je saurai m'en passer.
-Te passer de satisfaire ton désir? Vraiment, ma douce?

L'ombre de Wooden pesait sur Zalie, plus qu'elle ne le souhaitait pour garder les pensées limpides. Alors elle puisa dans les dernières réserves de sa force intérieur et lui assura fermement:

-N'aie crainte, je trouverai bien quelqu'un d'autre pour l'assouvir.

Casper choisit cet instant pour faire son entrée entre cet étrange couple qui battait de l'aile. Il se permit de se poser sur l'épaule de Wooden qui était bien trop occupé à gérer le maelström d'émotion qui lui retournait le coeur. Zalie avait fait mouche.

-Dîtes y reste combien de temps avant le premier numéro? Demanda distraitement l'oiseau.
-Le secrétaire n'a qu'à faire son travail et te répondre. C'est un homme qui a le coeur sur la main, à ce qu'il parait, argua-t-elle agacée.

Et sans un regard en arrière, elle sortit des coulisses. Le corbeau se fit surpris et il attendit patiemment que le dit-secrétaire réagisse.

-Pourquoi m'observes-tu ainsi tête de Piaf? Articula difficilement Wooden.
-C'est elle qui porte la culotte entre vous deux, souligna railleusement Casper.
-C'est une question?
-Si tu avais un doute à ce propos, pas du tout.

Alors l'homme croisa les bras, son regard constamment attiré par la porte qu'avait emprunté Zalie. Dans son sillage, il pouvait sentir son parfum. Il résista à l'envie de suivre le chemin de l'effluve qui le mènerait jusqu'à elle; en effet, il était certain qu'elle n'apprécierait pas la délicate attention. Alors il se canalisa.

-Pourquoi tu agis comme le dernier des goujats avec elle? Demanda soudainement Casper.
-Il est vrai que je suis pas tendre.
-C'est un euphémisme. À moins que tu sois friand de litotes.

Wooden était bien loin d'être friand de figure de style. Par contre, il l'était bien plus quand ça concernait sa poupée.

-J'ignore pourquoi, en réalité. Sans doute cela me permet-il qu'elle éprouve des sentiments à mon égard? Qu'ils soient mauvais m'importe peu tant que ce sont des sentiments.
-Tu t'y prends mal, bad boy! Ricana Casper. La psyché féminine n'est pas mon dada et pourtant, je pourrais y mettre ma patte à couper que ta méthode est naze!
-Surement. Mais elle me regarde et c'est tout ce dont j'ai besoin. Qu'elle ne regarde que moi.
-Tu es atteint mon pauvre.

Wooden haussa les épaules. Atteint, il l'était surement mais le résultat était le même. Zalie n'avait d'yeux que pour lui.

-Ah tu es là Casper! S'exclama la voix d'Owl. Je te cherchais.

Rentré sous peu, ce dernier s'était attelé à faire un rapport à Évide de leur sortie en ville. Casper, que l'administration barbait par dessus tout, avait filé à l'anglaise et à présent, se la coulait douce sur l'épaule du secrétaire. Secrétaire qui le dévisagea curieusement.

-Owl... un revenant, lui dit-il alors.
-Suis-je si peu présentable?
-Pas que je puisse m'en soucier. Mais sait-on jamais, au détour d'un couloir, nous pourrions rencontrer une demoiselle aux beaux yeux byzantins.

Le messager piqua un fard lorsqu'il saisit l'allusion. Casper se permit de faire remarquer:

-Plutôt mal placé pour prodiguer des conseils côté coeur, monsieur le bad boy.
-L'es-tu également pour me faire la morale, mon petit?

Le volatile s'indigna de ce surnom et alla prestement se poser sur l'épaule d'Owl. Son ami ne lui octroierait pas un tel traitement. Et pendant qu'il ruminait, Océlia passa une tête dans les coulisses et lorsqu'elle aperçut le messager, son regard se fit perçant. Telle une amazone contrariée et drapée d'un costume vaporeux, elle approcha à grand pas. Owl remarqua alors Daphne dans ses pas et les yeux byzantins qu'elle arborait. Il baissa les yeux sur sa mise usée et ne se sentit pas présentable. Mais Océlia n'avait que faire de ses états d'âme puisqu'elle demanda avec rudesse:

-Que font Tiffen et sa sbire ici?

Casper ressentit aussitôt le trouble de son camarade alors il renchérit sur le même ton:

-On t'en pose des questions, fouinâsse?
-J'ignorais que tu avais besoin d'un avocat pour t'exprimer, Owl.

Ce dernier parut soucieux mais secoua la tête, las.

-Je n'ai besoin de personne Océlia, sache le, appuya-t-il. Et en ce qui concerne Tiffen, j'ignorais qu'elle serait présente ce soir. Je ne suis plus en contact avec elle si c'est ce que tu souhaites savoir.
-Tu ne sais vraiment pas ce qu'elle a en tête dans ce cas?
-Puisqu'il te dit que non, idiote! Torpilla Casper.
-Pourquoi saurait-il ce que Tiffen a en tête? Demanda naïvement Daphne.

La répartie d'Océlia mourut, étouffée dans l'oeuf et Wooden toisa Owl qui n'osa lever les yeux. Daphne saisit qu'elle avait perdu une occasion de se taire.

-C'est privé, gamine! Lança Casper, remonté comme un coucou. Privé!

Le secrétaire tapota l'épaule libre d'Owl comme pour lui insuffler du courage et prétexta une affaire urgente. Océlia s'abstint de lui administrer quelconque accolade mais sur un dernier regard torve, elle le suivit. Les épanchements sentimentaux, très peu pour elle. Toutefois, Daphne resta et insista pour s'excuser de sa curiosité qu'elle avait jugé mal placée.

-J'ignorais qu'il s'agissait de la sphère privée.
-Eh bien tu le sais maintenant!
-Casper, intervint Owl, inutile de remuer le couteau dans la plaie. De plus la notion d'intimité au sein de cette troupe me semble caduc. En réalité, tous savent qu'elle est la relation qui m'a lié à elle à l'époque. Il serait donc injuste que tu restes dans l'ignorance malgré que ce ne soit pas digne de grand interêt.

Puis tel un garçon pris en faute, il confessa à mi-mot:

-Tiffen et moi étions amants. Autrefois.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant