Chapitre 11

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Elle s'était isolée dans son atelier au milieu des ses peintures et de ses croquis. Elle n'aurait jamais pensé qu'il reviendrait. Surtout après tant de mois écoulés... Daphne se souvint du sentiment de désespoir qui l'avait envahie lorsqu'elle s'était rendu compte que le terrain vague était désert. Elle n'aurait jamais pensé que le départ d'un cirque lui aurait causé autant de peine. Mais il fallait croire qu'elle s'était sentie vivante au cours de ces quelques heures passés en son sein et elle avait vécu cet abandon comme une orpheline. Elle avait compensé ce manque par un travail acharné. Douée pour les arts, elle s'était orientée dans cette filière pour exprimer et extérioriser ses émotions. À défaut de la parole, elle pouvait peindre. Surtout les portraits. Elle s'était séparée de ses parents sans pincement au coeur, avait pris une colocation et c'est ainsi qu'elle avait rencontrée Erika. Dès qu'elle avait posé les yeux sur elle, Daphne sut qu'elle avait un grand coeur.

Dans leur appartement, elle avait choisi une pièce pour y installer son atelier. Il y avait des peintures achevées qui trônaient sur le sol et des chevalets prêt à recevoir d'autre toiles. Des tubes de couleurs rangés de manière ordonnée et des palettes s'empilaient dans le petit lavabos dans le coin. Des chiffons laissés à l'abandon étaient couverts de trace d'acrylique et de fusain. Dans cet atelier, il y avait des bougies posées à même le sol. Des dizaines qui n'attendaient qu'à être allumées. Mais Daphne ne les allumerai pas. Elle voulaient simplement recomposer le bureau du Cirque Mystique. Un moment tellement... exaltant pour elle. Elle s'allongea, ferma les yeux et comme une évidence, repensa à son rêve. Dans celui ci, l'été s'était transformé en hiver en un battement de cil. Puis l'écharpe était apparu au moment où elle s'était penchée vers son reflet. Et le sourire de l'homme au long manteau la détendit à nouveau, l'apaisa et elle ferma les yeux si fort qu'elle n'entendit pas sa colocataire entrer.

-Daphne, je dois te demander quelque chose.

La brune ouvrit les yeux. Depuis combien de temps Erika était-elle entrée? Celle-ci s'assit en tailleur tout près d'elle en secouant le prospectus sous son nez, les sourcils interrogateurs.

-Tu connais le Cirque Mystique?
-Non.

Cela n'était pas convaincant. Erika croisa les bras sur sa poitrine, l'air de ne pas céder si facilement.

-Dis moi alors pourquoi ton prénom est sur le prospectus?

Daphne se releva aussi vite qu'elle le put et s'empara de la feuille qu'on lui tendait. Elle avait beau chercher, elle ne trouvait son prénom nul part. Erika décroisa les bras et posa son doigts sur chaque première lettre des vers ornant le haut de la feuille.

-C'est un acrostiche. Les premières lettres forment un prénom horizontalement et ce prénom, c'est le tien.

Dans ce monde

Arrivé à bord

Porté par Zéphyr

Hésitant à entrer

Ne soufflant mot

Envolée envoutante

Le Cirque Mystique t'invite au mystère

Daphne fronça les sourcils à son tour et vit qu'elle disait vrai. En effet, elle pouvait à présent distinguer son prénom. Juste en dessous, le profil d'une femme aux cheveux aux vents, le cou orné d'une étoffe rouge! Mais... Ses rêves lui revint de nouveau en pleine mémoire, remuant de contradictoires sentiments. Elle se massa les tempes sous le regard inquiet d'Erika.

-Daphne? Ça va?

Elle hocha imperceptiblement la tête. Erika s'empara alors du prospectus et s'apprêtait à le déchirer en deux lorsque la brune l'arrêta dans son mouvement.

-Arrête.
-Je refuse qu'un simple bout de papier te rende malade! Ton histoire avec ce cirque ne m'intéresse pas, je ne te force pas.
-Je le sais.

Erika secoua la tête et s'apprêtait à renchérir mais Daphne se releva soudain.

-Ne t'inquiète pas davantage.

Et sans un regard en direction de sa colocataire, elle sortit un pinceau de l'armoire ainsi que d'énormes tubes de peinture. Un geste puis deux. Face à son chevalet, Daphne aspergeait la toile d'acrylique à l'aide de son pinceau à poils longs. Elle se laissa transporter par le flot des sentiments enfouis en elle. Toutes ces émotions refirent surface, la faisant peindre avec plus de force encore. La disparition soudaine du Cirque et ce long silence d'une année pour réapparaître aussi brusquement qu'il s'était volatilisé. La jeune fille se rappelait de tout les artistes présents dans le bureau enfumé. Ses souvenirs avaient toutefois le goût amer de l'oubli, ils devenaient flous. Elle peignait avec attention, les pensées à vif. Lorsqu'elle leva le visage vers la fenêtre, elle aperçu imperceptiblement le soleil décliner. Une impression de déjà-vu.

Du noir. Du blanc. Du rouge. Ces trois teintes s'étalaient sur la toile et la jeune fille se surprit à ne pas utiliser d'autres couleurs. Habituellement, ses oeuvres en comportaient davantage. Sa dernière production représentait un nuage blanc dans un ciel au dégradé chatoyant où des jeunes femmes dansaient en pagne. À la lumière du soleil couchant, Daphne leva le regard et vit alors son avant dernière toile, posée contre le mur. Cette fois, son tableau mettait en scène une fillette brune d'environ huit ans qui s'accrochait à la jambe d'un violoniste. Le musicien tenait son instrument au creux de son cou et semblait interpréter une morose et lancinante mélodie. Toutefois, le regard de celui ci était attiré par une silhouette nimbée d'un brouillard opaque.

Essuyant alors son pinceau, elle se recula pour juger ses coups de peinture et ce qu'elle vit lui donna un coup au cœur. C'était son rêve qui s'étalait sur la toile. C'était bien elle, cette fille dont l'écharpe et les cheveux s'enroulaient ensemble dans ce décor enneigé. Erika, toujours assise, observait la scène sans en perdre une miette, bercée par la lumière d'un crépuscule glacé de décembre.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant